Environ un milliard d’années après le Big Bang, l’Univers est devenu complètement transparent sous l’effet d’une « réionisation » — dont l’origine demeure en grande partie mystérieuse. De nouvelles données suggèrent que l’étrange phénomène aurait été engendré par la lumière émise par les galaxies primitives. Ce rayonnement aurait suffisamment chauffé le gaz environnant pour le réioniser et le rendre transparent.
Les premiers milliards d’années suivant le Big Bang (il y a plus de 13,8 milliards d’années) représentent une période particulièrement instable et sujette aux changements. D’abord, au cours des premiers milliers d’années, l’Univers était dominé par un brouillard de gaz chaud et ionisé d’hydrogène (à 75%), d’hélium (25%) ainsi que de lithium et de deutérium sous forme de traces. Au cours de cette période baptisée à juste titre « âge sombre », il était impossible à la lumière de se diffuser à travers le gaz.
Une transparence laissant la lumière se diffuser
Environ 300 000 années après le Big Bang, le brouillard opaque de gaz dominant l’Univers primitif s’est progressivement refroidi, en laissant les protons et les électrons se combiner et former des atomes. Cette étape, appelée « recombinaison » et ayant duré 150 millions d’années, est la première phase de transition majeure de l’Univers. La diminution des électrons libres a permis à la lumière de se diffuser à travers le gaz. Cependant, aucune source de lumière telle que les étoiles n’existait encore à ce moment.
Un peu plus tard, le gaz s’est progressivement condensé pour permettre la formation d’étoiles et de galaxies. La naissance de ces galaxies a enclenché une seconde étape de transition majeure, au cours de laquelle le gaz a recommencé à se chauffer puis à se réioniser. Suite à ce phénomène, l’Univers est devenu complètement transparent, environ un milliard d’années après le Big Bang, laissait ainsi la lumière se diffuser librement.
Les scientifiques pensent que le rayonnement ultraviolet à haute énergie émis par les galaxies primitives est à l’origine de cette réionisation. Cependant, les vestiges de cette époque sont à la fois rares et trop éloignés. Nos télescopes conventionnels — dont la vision est actuellement brouillée par des milliards de tonnes de matière — n’ont pas encore permis de corroborer cette théorie.
Aujourd’hui, le télescope spatial James Webb change la donne en apportant de nouvelles données semblant appuyer cette hypothèse. Complétée par plusieurs références, l’analyse de ces données, parue sur le serveur de préimpression arXiv, lève enfin le voile sur cette phase mystérieuse de notre univers.
Des « bulles » de réionisation
L’étude, de l’Université de Groningue aux Pays-Bas, s’appuie sur la première détection d’une longueur d’onde spécifique de l’hydrogène dite « hydrogène alpha » émise lors de la réionisation, indiquant la formation d’étoiles. En effet, l’hétérogénéité de densité régnant au cours de cette période était telle que les atomes d’hydrogène commençaient à s’entrechoquer et à fortement chauffer. En continuant à s’effondrer sur lui-même, le gaz accumulait énormément de matière. De ce fait, les étoiles primitives étaient très massives et évoluaient rapidement en supernova ou en hypernova. Ces étoiles très instables émettent des rayonnements ultraviolets à haute énergie, qui sont absorbés par le gaz environnant. L’hydrogène réionisé au cours de ce processus émet une longueur d’onde spécifique (alpha).
Les données des chercheurs néerlandais indiquent que les plus puissantes émissions d’hydrogène alpha correspondaient à la formation d’environ un quart de la densité totale du taux de formations d’étoiles. Ces résultats suggèrent que ces deux éléments ont joué un rôle clé dans le processus de réionisation de l’Univers.
D’un autre côté, une étude japonaise complète ces données en suggérant que la réionisation n’était pas un processus uniforme, mais se serait progressivement étendue en formant initialement des sortes de bulles autour des zones d’émission de rayonnement ultraviolet. « Non seulement Webb montre clairement que ces régions transparentes se trouvent autour des galaxies, mais nous avons également mesuré leur taille », explique l’auteur principal de l’étude Daichi Kashino de l’Université de Nagoya. « Avec les données de Webb, nous voyons des galaxies réioniser le gaz qui les entoure », ajoute-t-il.
Ces régions gazeuses transparentes seraient gigantesques (environ 4 millions d’années-lumière de diamètre) par rapport aux galaxies, puis se sont étendues toujours plus (le rayonnement réionisant les atomes datant de la recombinaison) pour finalement fusionner et couvrir tout l’espace. Pour l’analogie, une galaxie serait comparable à un petit pois suspendu au centre d’un ballon de montgolfière. En outre, ces galaxies primitives (existant dès 900 millions d’années après le Big Bang) ne ressemblaient aucunement à celles actuelles et seraient extrêmement actives.
Une autre équipe a ciblé le moment avant la fin de la réionisation, lorsque l’Univers n’était ni complètement transparent ni complètement opaque. C’est-à-dire lorsque des états différents de gaz y étaient présents. Pour ce faire, les scientifiques ont dirigé le télescope James Webb vers un quasar primitif, au cœur duquel réside un trou noir supermassif très actif et extrêmement lumineux. Cette lumière a permis de mettre en évidence les différents états gazeux se trouvant entre le quasar en question et nos points d’observation.
À mesure que la lumière du quasar voyageait à travers l’espace, elle a soit été absorbée par un gaz opaque (non ionisé), soit est passée à travers un gaz transparent (ionisé). « En éclairant les gaz le long de notre ligne de visée, le quasar nous donne des informations détaillées sur leur composition et leur état », explique Anna-Christina Eilers, du MIT. Ces données ont ensuite permis aux scientifiques d’identifier les galaxies proches de cette ligne de visée et de déduire que les régions transparentes les entourant ont un rayon d’environ 2 millions d’années-lumière.
Par ailleurs, Eilers et son équipe ont révélé que le trou noir au centre de ce quasar est le plus massif connu de l’Univers primitif, faisant près de 10 milliards de masses solaires. Pour l’heure, les astronomes n’expliquent pas les raisons d’une telle masse. Néanmoins, toujours grâce à James Webb, ils ont pu identifier 117 galaxies présentes depuis la réionisation.