Au début du mois d’avril, l’Écosse a rapporté une dizaine de cas d’hépatite aiguë sévère chez de jeunes enfants (de 11 mois à 5 ans). Quelques jours plus tard, le 8 avril, ce sont 74 cas qui ont été signalés au Royaume-Uni. Aujourd’hui, cette maladie sévit dans 11 pays européens, dont la France, ainsi qu’aux États-Unis. L’Organisation mondiale de la santé recensait 169 cas au 23 avril. Les scientifiques ne savent toujours pas ce qui cause cette hépatite chez des enfants qui étaient pourtant en bonne santé.
Les cas identifiés sont âgés de 1 mois à 16 ans ; dix-sept d’entre eux (environ 10% des cas) ont dû subir une greffe de foie ; au moins un décès a été signalé. Douleurs abdominales, diarrhée et vomissements accompagnés d’une jaunisse sont les principaux symptômes ; la plupart des patients n’avaient pas de fièvre. Les tests de laboratoire ont exclu les virus habituels qui causent l’hépatite infectieuse (hépatite A, B, C, E et D le cas échéant, celle-ci étant directement liée au virus de l’hépatite B).
Dès l’apparition de cette mystérieuse hépatite, certaines personnes n’ont pas manqué de faire immédiatement un lien avec la vaccination anti-COVID-19. Des allégations rapidement démenties par l’Agence britannique de sécurité sanitaire, dans un communiqué : « Il n’y a aucun lien avec le vaccin contre le coronavirus (SARS-CoV-2). Aucun des cas actuellement confirmés chez les moins de 10 ans au Royaume-Uni n’a été vacciné ». Les informations recueillies au cours des enquêtes suggèrent que cette augmentation soudaine des cas graves d’hépatite pourrait être liée à une infection à adénovirus.
La piste d’un adénovirus privilégiée
L’hépatite est une inflammation du foie et est généralement rare chez les enfants en bonne santé. Selon l’OMS, aucun facteur commun, y compris d’éventuels voyages internationaux, ne semble lier les différents patients identifiés. Le paracétamol a lui aussi été rapidement évoqué comme cause possible — ce médicament pouvant entraîner des lésions hépatiques en cas de surdosage — mais là encore, aucun lien n’a pu être établi avec les enfants concernés.
La France ne compte que deux cas pour le moment. Avec plus de 110 cas, principalement des enfants de moins de 5 ans, le Royaume-Uni est le pays le plus touché par cette hépatite pédiatrique ; or, il se trouve que le pays a récemment enregistré une nette augmentation des infections virales parmi les jeunes enfants par rapport aux années précédentes — et en particulier des infections à adénovirus. « L’adénovirus était l’agent pathogène le plus couramment détecté dans 40 des 53 (75%) cas confirmés testés », rapporte l’Agence britannique de sécurité sanitaire.
Au niveau mondial, un adénovirus a été détecté dans plusieurs cas également (74 précisément), tandis qu’une vingtaine de cas étaient infectés par le SARS-CoV-2 ; l’OMS précise que 19 cas présentaient une double infection par ces deux virus — un résultat qui n’est toutefois pas surprenant, car le virus de la COVID-19 continue à circuler. Il apparaît donc que l’adénovirus est à ce jour l’une des causes les plus plausibles.
Les adénovirus sont une famille de virus courants, qui provoquent généralement des maladies bénignes, telles que le rhume, la bronchite ou des troubles gastro-intestinaux (vomissements, diarrhée). Il en existe plus de 50 types, immunologiquement distincts ; mais dans la plupart des cas, les personnes infectées se rétablissent assez rapidement et sans complications. L’hépatite n’est qu’une complication particulièrement rare de ces virus, il est donc très surprenant d’observer une telle multiplication des cas.
Une immunité infantile moins robuste ?
Ce qui inquiète les autorités de santé est que cette souche semble particulièrement sévère (10% des cas ayant nécessité une transplantation). Et tant que les causes de cette infection demeurent inconnues, il est difficile de se protéger. « Comme nous ne connaissons pas la cause, nous ne connaissons pas la voie de transmission et comment la prévenir et la traiter », a déclaré Aikaterini Mougkou, experte en résistance antimicrobienne au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
Comme dans la plupart des pays, de par les mesures de prévention mises en place, les taux d’infections « habituelles » (gastro-entérites, rhinopharyngites, etc.) ont largement chuté au Royaume-Uni pendant la pandémie. Mais depuis la levée de ces mesures, les taux d’adénovirus ont subitement augmenté. « Les Pays-Bas ont également signalé une augmentation simultanée de la circulation communautaire des adénovirus », ajoute l’OMS. Ainsi, il se pourrait que le fait que les enfants aient été moins exposés aux adénovirus pendant la pandémie ait provoqué une plus grande vulnérabilité face à ces virus envers lesquels ils n’ont pas eu l’occasion de développer une immunité.
Mais si l’adénovirus est considéré comme une cause possible, « il n’explique pas entièrement la gravité du tableau clinique », souligne l’OMS. Les autorités sanitaires continuent d’enquêter. Meera Chand, directrice des infections cliniques et émergentes à l’Agence britannique de sécurité sanitaire, évoque la possibilité d’une combinaison d’un adénovirus standard avec un facteur qui augmenterait sa gravité, ou de l’émergence d’un nouvel adénovirus. La co-infection avec le SARS-CoV-2 sera elle aussi explorée plus avant.
La priorité est donc aujourd’hui de trouver la cause précise de cette hépatite, afin de mettre en place les mesures de prévention nécessaires. À savoir que les adénovirus sont généralement transmis par contact direct (ou via des surfaces contaminées), ainsi que par voie respiratoire. En attendant d’en savoir plus, le meilleur moyen de s’en protéger reste donc d’adopter une parfaite hygiène des mains et de porter un masque — des pratiques désormais familières.