Les nanoéponges ? Ce sont des nanoparticules poreuses, comme une éponge, dont les cavités peuvent être remplies de médicaments ; elles sont par conséquent utilisées dans le milieu médical comme système de distribution. Or, une équipe de scientifiques américains a découvert que ces particules pouvaient être utilisées comme leurres pour attirer le virus du SARS-CoV-2 et le neutraliser, de manière à ce qu’il ne puisse plus infecter les cellules humaines.
Dans les expériences menées par cette équipe de chercheurs de l’UC San Diego, ces nanoéponges ont fait perdre au SARS-CoV-2 près de 90% de son infectivité ! Cette dernière désigne la capacité d’un virus à pénétrer dans la cellule hôte et à exploiter ses ressources pour se répliquer. Autant dire que ces minuscules éponges semblent particulièrement efficaces…
Des particules « déguisées » pour tromper le pathogène
On sait aujourd’hui que pour infecter les cellules humaines, le nouveau coronavirus se lie aux protéines (notamment les récepteurs ACE2 et CD147) se trouvant en surface des cellules, au moyen de sa protéine de pointe. Ainsi, de nombreuses équipes de scientifiques recherchent un moyen d’empêcher cette interaction et travaillent ainsi à la mise au point d’un médicament ciblant spécifiquement la protéine de pointe.
Les ingénieurs de l’UC San Diego ont quant à eux opté pour une autre approche : ils ont tenté de fabriquer un leurre, de manière à détourner le virus de sa véritable cible. Comment ? En utilisant des nanoéponges (ou nanosponges) qu’ils ont recouvertes de membranes de cellules humaines comportant les récepteurs ACE2 et CD147, entre autres protéines. Ces membranes cellulaires provenaient de cellules épithéliales pulmonaires et de macrophages (des globules blancs qui jouent un rôle majeur dans l’inflammation), deux types cellulaires généralement ciblés par le SARS-CoV-2. L’explication en vidéo :
Ainsi « déguisées », les nanoéponges deviennent capables « d’absorber » le virus. « Nous avons seulement besoin de savoir quelles sont les cellules cibles. Puis, nous cherchons à protéger ces cibles en créant des leurres biomimétiques », déclare Liangfang Zhang, professeur de nano-ingénierie à la Jacobs School of Engineering de l’UC San Diego. Cela fait plus de dix ans que Zhang et son équipe exploitent de telles nanoéponges biomimétiques. Dès l’apparition du nouveau coronavirus, Zhang a « presque immédiatement » pensé à les utiliser comme thérapie potentielle.
Comment sont fabriquées ces nanoéponges, mille fois plus petites que la largeur d’un cheveu ? Chacune comporte un noyau polymère recouvert de membranes cellulaires, extraites soit de cellules épithéliales pulmonaires de type II, soit de cellules macrophages. Les éponges sont ainsi couvertes des mêmes récepteurs protéiques que les cellules dont elles usurpent l’identité, ce qui inclut tous les récepteurs que le SARS-CoV-2 utilise pour pénétrer dans les cellules humaines.
Non seulement ces nanoéponges sont capables de neutraliser le virus au sein d’une culture cellulaire, mais celles qui sont recouvertes de fragments de membranes de macrophages affichent une autre propriété intéressante : elles auraient la capacité d’absorber les cytokines – des protéines impliquées dans la réponse immunitaire, mais dont la production « s’emballe » parfois dans le cas du COVID-19, créant une forte réaction inflammatoire (les spécialistes parlent de « tempête » ou d’« orage de cytokine »). Cette réponse immunitaire disproportionnée serait à l’origine des cas les plus graves de la maladie.
Un potentiel thérapeutique qui dépasse le cadre du SARS-CoV-2
Pour tester leur efficacité, les chercheurs ont fait appel à une équipe des Laboratoires nationaux des maladies infectieuses émergentes (NEIDL) de Boston. Anthony Griffiths, professeur agrégé de microbiologie à la Boston University School of Medicine, et ses collaborateurs ont alors testé diverses concentrations de chacun des deux types de nanoéponges.
Résultats : à une concentration de 5 mg/mL, les éponges recouvertes de membrane de cellules pulmonaires ont inhibé 93 % de l’infectivité du SARS-CoV-2. Les éponges recouvertes de membrane de macrophages ont, quant à elles, inhibé 88 % de l’infectivité virale. Le potentiel de ces nanoéponges est donc indéniable et pas seulement vis-à-vis du nouveau coronavirus : « Contrairement à un médicament ou à un anticorps qui pourrait bloquer l’infection et la réplication du SARS-CoV-2 de manière très ciblée, ces nanoéponges recouvertes de membranes cellulaires pourraient contribuer de manière plus holistique au traitement d’un large spectre de maladies infectieuses virales », explique Anna Honko, chercheuse en microbiologie au NEIDL et co-auteure de l’étude.
L’autre avantage notable de cette technique est qu’elle pourra fonctionner même si le SARS-CoV-2 se met à muter ! Il suffit en effet que les cellules ciblées par le virus restent les mêmes. « Je ne suis pas sûr que cela puisse être le cas pour certains des vaccins et des thérapies en cours de développement », souligne Zhang. De la même manière, les chercheurs estiment que leurs nanoéponges pourraient être efficaces contre n’importe quel autre coronavirus ou d’autres virus respiratoires.
Quant à savoir si les nanoéponges à base de membranes de macrophages sont capables, ou non, de neutraliser un orage de cytokines lors de l’infection au COVID-19, les chercheurs doivent pousser plus loin leurs recherches. Pour cela, ils pourront s’appuyer sur leurs précédents travaux, dont les résultats ont été publiés dans Proceedings of the National Academy of Sciences, en 2017. Zhang et ses collaborateurs ont montré à l’époque que, dans le cas d’une septicémie, les nanoéponges macrophages pouvaient neutraliser à la fois les endotoxines et les cytokines pro-inflammatoires.
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Au cours des prochains mois, l’équipe de l’UC San Diego prévoit de tester leurs nanoéponges sur des animaux. Ces nanoparticules ont déjà été testées par le passé sur des souris : la technique n’a montré aucun impact néfaste sur le système respiratoire des rongeurs, du moins, à court terme. Si ces nouveaux tests sur l’animal s’avèrent concluants, des tests cliniques humains pourront être envisagés. Dans ce cas, plusieurs moyens pourront être utilisés pour administrer ce traitement hors normes : directement dans les poumons, pour les patients intubés ; via un inhalateur ; ou bien par voie intraveineuse (notamment dans le cas d’un orage de cytokines).
Zhang ajoute que ces nanoéponges pourraient même s’avérer efficaces en tant que traitement préventif, car une fois que ces particules pénètrent dans les poumons, elles peuvent y rester un certain temps et ainsi, se tenir prêtes à agir si un virus venait à apparaître.