La maladie de Crohn est de plus en plus répandue dans le monde. L’incidence est de l’ordre de 5 pour 100 000 habitants par an, notamment dans les pays industrialisés. La survenue de cette maladie inflammatoire chronique de l’intestin semble être médiée par des facteurs génétiques, environnementaux et un système immunitaire défaillant. Récemment, des chercheurs ont établi un lien entre la maladie et une famille de virus intestinaux courants, les norovirus — provoquant la gastro-entérite. Leur découverte pourrait aider à développer de nouveaux traitements contre la maladie.
La maladie de Crohn est une affection inflammatoire chronique du tractus gastro-intestinal, dans laquelle les défenses immunitaires destinées à attaquer les agents pathogènes ciblent à tort le tube digestif de l’organisme. L’inflammation peut survenir n’importe où dans le tractus gastro-intestinal. Le plus souvent, elle affecte la fin de l’intestin grêle, appelée iléon, et le début du côlon, ou gros intestin, et cela sur toute l’épaisseur de la paroi intestinale.
En France, la maladie de Crohn touche près d’une personne sur 1000, avec chaque année 8 nouveaux cas pour 100 000 habitants. La fréquence augmente rapidement dans les pays en voie d’industrialisation (Asie, Moyen-Orient, etc.). La maladie peut survenir à tout âge, mais elle est le plus souvent diagnostiquée chez les adolescents et les adultes âgés de 20 à 30 ans.
Les causes exactes sont inconnues, même si des facteurs génétiques, environnementaux et immunitaires sont en jeu. En effet, des études ont montré qu’entre 1,5% et 28% des personnes atteintes de maladies inflammatoires de l’intestin ont un membre de la famille proche — parent, enfant, frère ou sœur — également atteint de la maladie.
Malheureusement, il n’existe pas de remède connu actuellement pour la maladie de Crohn, mais les thérapies peuvent réduire considérablement ses symptômes. Récemment, une équipe de chercheurs de la New York University Grossman School of Medicine (NYU) a trouvé des preuves qu’une infection virale courante peut déclencher une maladie inflammatoire de l’intestin chez les personnes génétiquement sensibles. Une future thérapie ciblant spécifiquement les voies d’action du virus pourrait être une solution pour éliminer définitivement la maladie chez les patients. Leur découverte est publiée dans la revue Nature.
Un virus intestinal courant, élément déclencheur d’une maladie rare
Les norovirus, provoquant une infection courante (la gastro-entérite) engendrant vomissements et diarrhée, font partie des nombreux virus et bactéries censés déclencher l’apparition de la maladie chez les personnes atteintes de la maladie de Crohn, mais les scientifiques n’en connaissent pas la raison.
Néanmoins, un indice est apparu lorsque des études antérieures ont révélé qu’une mutation génétique était présente chez la plupart des personnes atteintes de la maladie. Cette mutation rend les cellules de la muqueuse intestinale plus vulnérables aux dommages. Or, ce facteur génétique ne déclenche pas automatiquement Crohn, certaines personnes semblent donc « protégées ».
Les membres de l’équipe ont alors focalisé leurs travaux sur ce point. Les recherches qu’ils ont menées sur des souris et des tissus humains ont révélé, pour la première fois, que chez des individus en bonne santé, des défenseurs immunitaires — les lymphocytes T — sécrètent une protéine appelée inhibiteur de l’apoptose 5 (API5). Ce dernier signale au système immunitaire d’arrêter l’attaque des cellules de la muqueuse intestinale. Cette protéine ajoute une « protection supplémentaire » contre les dommages immunitaires, de sorte que même les personnes porteuses de la mutation peuvent avoir un intestin sain.
Cependant, les chercheurs ont également découvert que l’infection à norovirus bloque la sécrétion d’API5 par les cellules T chez les souris atteintes de la maladie de Crohn, tuant les cellules de la muqueuse intestinale dans le processus. Les chercheurs suggèrent alors que l’API5 protège la plupart des personnes atteintes de la mutation contre la maladie de Crohn jusqu’à la survenue d’un deuxième déclencheur, tel qu’une infection à norovirus.
Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont injecté une dose d’API5 à des souris génétiquement modifiées pour avoir la mutation liée à la maladie de Crohn chez l’homme. Elles ont alors toutes survécu, tandis que la moitié du groupe non traité est décédée des conséquences de la maladie.
Par conséquent, une fois leur hypothèse prouvée, ils ont analysé les cas de la maladie chez l’Homme, avec ce nouvel éclairage. Dans les tissus humains, les chercheurs ont découvert que les personnes atteintes de la maladie de Crohn avaient entre 5 et 10 fois moins de cellules T productrices d’API5 dans leurs tissus intestinaux que celles qui n’étaient pas atteintes de la maladie.
L’auteur principal de l’étude et gastro-entérologue Yu Matsuzawa-Ishimoto, déclare dans un communiqué : « Nos résultats offrent un nouvel aperçu du rôle clé joué par l’inhibiteur de l’apoptose 5 dans la maladie de Crohn. Cette molécule pourrait constituer une nouvelle cible pour le traitement de cette maladie auto-immune, qui s’est avérée difficile à gérer sur le long terme ».
Une voie thérapeutique prometteuse
En effet, comme mentionné précédemment, il n’existe aucun traitement curatif de la maladie, seuls les symptômes sont soignés. Le Dr Matsuzawa-Ishimoto note que les thérapies actuelles, qui agissent en affaiblissant le système immunitaire, exposent les patients à un risque élevé d’autres infections, sans compter qu’elles deviennent souvent moins efficaces après quelques années d’utilisation. Une méthode de traitement ciblant API5, ajoute-t-il, pourrait éviter ces problèmes.
Dans une troisième série d’expériences, les chercheurs ont créé des structures constituées uniquement de cellules de la muqueuse intestinale, prélevées sur des humains testés positifs pour la mutation. L’équipe de recherche a alors déposé l’API5 dans ces « mini intestins » et a découvert que le traitement protégeait les cellules de la muqueuse intestinale. De plus, l’ajout de cellules T productrices d’API5 a également protégé la muqueuse.
Le co-auteur principal de l’étude et microbiologiste Ken H. Cadwell, professeur de microbiologie à NYU Langone, explique : « Notre étude suggère que lorsqu’un norovirus infecte ceux dont la capacité à produire l’inhibiteur de l’apoptose 5 est réduite, il fait pencher la balance vers une maladie auto-immune à part entière ».
Le Dr Cadwell prévient que si les auteurs de l’étude ont dérivé la protéine API5 de tissus humains plutôt que de rongeurs, il reste difficile de savoir si le traitement par injection peut être administré en toute sécurité chez l’homme.
Par la suite, l’équipe de recherche prévoit d’explorer les effets à long terme des injections d’API5 pour évaluer si le traitement élimine efficacement la maladie de Crohn, ou du moins évite les nombreuses crises inflammatoires, sur une longue période. D’ailleurs, plusieurs demandes de brevets sont en cours.