L’énergie solaire est l’une des clés de la transition écologique enclenchée par de nombreux pays, face au changement climatique. Or, l’un des principaux « problèmes » est, comme son nom l’indique, que le panneau solaire fonctionne avec la lumière émise par le Soleil. La nuit, sans lumière, pas d’électricité générée. Les scientifiques s’intéressent donc depuis des années à y remédier et ont théorisé la solution, mais jusqu’ici, sans la mettre en pratique. C’est désormais chose faite par une équipe de chercheurs australiens. Récemment, ils ont produit et quantifié l’énergie produite par un nouveau type de cellule thermophotovoltaïque basée sur une diode thermoradiative, à partir de la chaleur réémise par la Terre durant la nuit. Plus précisément, le dispositif convertit le rayonnement infrarouge émis par la Terre en électricité : l’inverse d’un panneau solaire standard — une conversion allant de la Terre vers l’espace, et non plus de l’espace (le Soleil) vers la Terre. Cette avancée pourrait révolutionner le secteur de l’énergie verte en ces temps de crise.
De manière classique, le fonctionnement des panneaux solaires repose sur un élément principal : la cellule photovoltaïque. Ces petits carrés, qui forment les modules photovoltaïques, ont la capacité de pouvoir transformer la lumière du soleil en électricité, via notamment le silicium, matériau le plus fréquemment utilisé. Lorsque les électrons du silicium se retrouvent au contact de photons (particules de la lumière du soleil), ils s’agitent. Afin qu’ils circulent de façon à créer un courant électrique, il est nécessaire de placer un pôle positif et un pôle négatif. Pour cela, le silicium est associé au bore pour obtenir le pôle positif, et au phosphore pour le pôle négatif — c’est le côté qui est face au soleil. Grâce à ce système, les électrons se déplacent de façon naturelle entre les deux pôles et créent un courant électrique.
En 2020, dans la revue ACS Photonics, les chercheurs américains ont décrit comment appliquer ce processus fondamental, mais à l’envers. Cependant, jusqu’ici, aucune donnée probante n’avait été publiée, le système n’étant pas encore opérationnel. En début d’année, sur le même principe, des scientifiques de l’université de Stanford ont modifié des panneaux solaires du commerce et généré 50 milliwatts par mètre carré durant la nuit.
Dans cette continuité, une recherche innovante menée par une équipe de l’UNSW de Sydney montre que la chaleur infrarouge rayonnante de la Terre peut être utilisée pour générer de l’électricité, même après le coucher du Soleil, via un nouveau type de cellule thermophotovoltaïque. Ces résultats prometteurs sont publiés dans la revue ACS Photonics.
Chaleur de l’infrarouge et énergie thermoradiative
Afin d’obtenir un système opérationnel et fonctionnant dans l’obscurité, les chercheurs ont mis au point un dispositif semi-conducteur appelé diode thermoradiative. Elle est composée de matériaux couramment utilisés dans les lunettes de vision nocturne : du tellurure de mercure et du cadmium (MCT).
Le chef d’équipe, le professeur agrégé Ned Ekins-Daukes, explique dans un communiqué : « En utilisant des caméras thermiques, vous pouvez voir la quantité de rayonnement la nuit, mais uniquement dans l’infrarouge plutôt que dans les longueurs d’onde visibles. Ce que nous avons fait, c’est fabriquer un appareil capable de générer de l’énergie électrique à partir de l’émission de rayonnement thermique infrarouge ». Les nouveaux résultats de l’UNSW s’appuient sur les travaux antérieurs du groupe où le co-auteur Andreas Pusch a développé un modèle mathématique qui a aidé à guider leurs expériences en laboratoire.
L’énergie solaire frappe la Terre pendant la journée sous forme de lumière et réchauffe la planète. La nuit, cette même énergie rayonne vers l’espace sous forme de lumière infrarouge. En effet, un objet chaud émet de la chaleur sous forme de lumière infrarouge vers un objet froid. C’est ainsi qu’un panneau solaire, étant plus froid que le soleil, absorbe sa lumière et la convertit en électricité. La nuit, l’espace est bien plus froid que la Terre, la chaleur émane donc de la Terre vers l’espace, la cellule thermophotovoltaïque la récupère et la transforme en énergie. C’est le processus thermoradiatif, qui est l’inverse du photovoltaïque classique (en termes simples).
Le Dr Phoebe Pearce, l’un des co-auteurs de l’article, déclare : « Le photovoltaïque, la conversion directe de la lumière du soleil en électricité, est un processus artificiel que l’homme a développé pour convertir l’énergie solaire en électricité. En ce sens, le processus thermoradiatif est similaire ; nous détournons l’énergie circulant dans l’infrarouge d’une Terre chaude vers l’univers froid ». Dans les deux cas, c’est la différence de température entre deux milieux qui permet de générer de l’énergie.
Concrètement, à un différentiel de température de seulement 12,5 °C, les auteurs ont mesuré une densité de puissance électrique thermoradiative de 2,26 mW par m² pour une diode. Cette production d’énergie est faible, mais ils estiment que leur technologie pourrait finalement produire environ un dixième de la puissance d’une cellule solaire actuelle.
La percée de l’équipe de l’UNSW est une confirmation d’un processus auparavant théorique, grâce à la diode thermoradiative. Elle constitue la première étape dans la fabrication d’appareils spécialisés et beaucoup plus efficaces qui pourraient un jour capturer l’énergie à une échelle beaucoup plus grande. Cette technique pourrait être associée aux panneaux solaires actuels, permettant une production d’énergie continuelle. De plus, la nuit, les besoins énergétiques étant réduits, le rendement inférieur de la diode n’apparait pas comme un grand obstacle.
Des applications inédites
L’équipe pense que sa technologie pourrait servir à produire de l’électricité dans des situations actuellement impossibles. Effectivement, de manière théorique, toute source de chaleur, via l’infrarouge, pourrait être utilisée. Le professeur Ekins-Daukes déclare : « En principe, il nous est possible de générer de l’énergie de la manière que nous avons démontrée uniquement à partir de la chaleur corporelle – que vous pouvez voir briller si vous regardez à travers une caméra thermique ».
Cette récupération d’énergie de la chaleur corporelle ne pourra certes pas alimenter une maison, mais pourrait permettre de se passer de batteries pour certains dispositifs électroniques portables. Néanmoins, comme le précisent les auteurs, cette technologie demande encore quelques dizaines d’années de recherche et développement avant de produire des rendements suffisants et obtenir un process industriel opérant. Ils estiment d’ailleurs que c’est à l’industrie de prendre en main les prochaines étapes, afin de lever les fonds nécessaires à la fabrication. Encore faut-il la convaincre.
Pourtant, en testant les limites de chaque technique reposant sur le processus thermoradiatif et en affinant leurs capacités à absorber une plus grande partie de la bande passante de l’infrarouge, il sera certainement possible de proposer des technologies capables d’extraire chaque unité d’énergie de presque tous les types de chaleur perdue.
Les auteurs concluent : « En tirant parti de nos connaissances sur la conception et l’optimisation des cellules solaires et en empruntant des matériaux à la communauté existante des photodétecteurs à infrarouge moyen, nous espérons des progrès rapides vers la réalisation du rêve de l’énergie ‘solaire’ nocturne ».