La cicatrisation des plaies chez les personnes âgées est souvent entravée par des mécanismes complexes tels que l’inflammation chronique et la dégradation des facteurs de croissance. Toutefois, c’est la diminution de la régénération cellulaire qui apparaît comme le principal facteur de ralentissement de ce processus. Avec l’âge, la capacité des cellules cutanées à se diviser et à se renouveler s’amenuise, tandis que les fibroblastes, essentiels à la production de collagène et à l’organisation de la matrice extracellulaire, perdent en activité. Dans ce contexte, une étude récente menée par des chercheurs américains met en lumière les effets prometteurs de l’ABT-263, un composé capable d’accélérer la cicatrisation en éliminant les cellules sénescentes. En outre, les résultats indiquent de nouvelles pistes de recherche pour les soins de la peau en général et de la médecine régénérative.
Les cellules sénescentes sont issues d’un phénomène biologique au cours duquel les cellules, bien qu’encore viables, perdent leur capacité à se diviser. Cette sénescence peut être déclenchée par divers facteurs : stress oxydatif, dommages à l’ADN, inflammation ou encore raccourcissement des télomères, des structures protectrices situées à l’extrémité des chromosomes.
Ces cellules se caractérisent par des altérations morphologiques – taille accrue, forme irrégulière – ainsi que par l’expression de marqueurs spécifiques, tels que la protéine p16INK4a. Associées au vieillissement et à diverses pathologies, elles jouent néanmoins un rôle protecteur en limitant la prolifération des cellules endommagées, contribuant ainsi à la prévention de certains cancers.
Cependant, leur accumulation excessive dans les tissus peut avoir des effets délétères, favorisant les maladies liées à l’âge, les troubles métaboliques et l’inflammation chronique. En effet, en sécrétant des molécules pro-inflammatoires, elles créent un environnement propice à l’inflammation persistante. Cette accumulation s’avère particulièrement problématique au niveau cutané, où elle ralentit significativement la guérison des plaies.
Face à ces enjeux, la recherche sur les cellules sénescentes connaît un développement croissant. En effet, les scientifiques s’efforcent de mieux cerner leur rôle dans le vieillissement et les maladies associées. Parmi les approches thérapeutiques innovantes figurent les sénolytiques, des composés conçus pour cibler et éliminer ces cellules. L’ABT-263 s’inscrit dans cette catégorie et suscite un intérêt croissant au sein de la faculté de médecine de l’Université de Boston.
Vers une meilleure compréhension de l’ABT-263
Sous la direction de Maria Shvedova, l’équipe explore le potentiel de l’ABT-263 en évaluant sa capacité à améliorer la réparation cutanée en ciblant spécifiquement les cellules sénescentes, qui limitent la cicatrisation. Pour ce faire, les chercheurs ont conduit des expérimentations sur des modèles murins.
Une formulation topique à base d’ABT-263 a été administrée à des souris âgées de 24 mois, évitant ainsi les effets secondaires fréquemment observés avec des traitements sénolytiques par voie orale. Le médicament a été appliqué pendant cinq jours, avant la création de petites plaies destinées à évaluer la réponse de guérison.
Les résultats sont très encourageants : l’ABT-263 cible avec précision les tissus vieillissants chargés en cellules sénescentes, sans altérer de façon notable la régénération des tissus chez les jeunes souris. Après 24 jours, 80 % des souris traitées présentaient des plaies entièrement cicatrisées, contre seulement 56 % chez les sujets non traités.
Cette action ciblée suggère de potentielles applications cliniques, notamment pour les patients âgés devant subir une intervention chirurgicale. L’application préopératoire d’ABT-263 sur la peau pourrait ainsi favoriser un environnement plus propice à la cicatrisation, réduisant potentiellement les risques de complications et accélérant la convalescence, bien que cela reste à démontrer chez l’humain.
« Notre étude met en avant le potentiel des traitements sénolytiques topiques pour améliorer la cicatrisation des plaies cutanées liées au vieillissement, offrant ainsi une stratégie prometteuse pour les soins préopératoires », soulignent les auteurs dans leur document d’étude, paru dans la revue Aging.
Une inflammation « bénéfique » ?
De manière inattendue, le traitement par ABT-263 a induit une brève réaction inflammatoire, qui s’est révélée bénéfique pour le processus de cicatrisation. Cette inflammation contrôlée a favorisé l’afflux de macrophages – des cellules immunitaires clés – vers la zone lésée, favorisant ainsi la régénération des tissus.
En parallèle, le médicament a stimulé l’expression de plusieurs gènes impliqués dans la réparation tissulaire, notamment ceux favorisant la néoangiogenèse (formation de nouveaux vaisseaux sanguins) et la synthèse de collagène.
Par ailleurs, des recherches antérieures sur des souris avaient montré l’efficacité d’ABT-263 dans la lutte contre la perte de mémoire, en ciblant les cellules sénescentes gliales. Cette polyvalence positionne le composé comme un candidat potentiel pour le traitement des maladies neurodégénératives, en plus de la cicatrisation cutanée. Cependant, malgré des résultats encourageants, les chercheurs insistent sur la nécessité de mener des études complémentaires avant d’envisager des essais cliniques sur l’homme.