L’expansion de l’Univers ne serait peut-être pas le fruit de l’énergie noire, mais plutôt celui d’explosions rapides, localisées et difficiles à détecter, que des chercheurs qualifient de « singularités temporelles transitoires ». En effet, selon une étude récente, la structuration de l’Univers et son développement n’auraient pas été impulsés par un seul Big Bang, mais par une succession d’événements explosifs échelonnés dans le temps. Ces multiples singularités affecteraient tout le cosmos de manière homogène, au point de rendre superflus les concepts de matière et d’énergie noires.
Dans les années 1960, les astronomes ont découvert que la masse totale des galaxies et d’autres objets cosmiques ne correspondait pas à la quantité de matière observable. Pour que les modèles soient cohérents, il faut supposer que beaucoup plus de matière que celle visible est présente afin d’expliquer les mouvements observés. En ce sens, les galaxies devraient contenir six fois plus de cette matière mystérieuse que de matière ordinaire.
Baptisée « matière noire », cette forme hypothétique de matière, largement admise par la communauté scientifique, occuperait environ 27 % de l’Univers. Elle n’interagirait pas avec le champ électromagnétique, n’émettant ni n’absorbant de rayonnement. Pourtant, elle doit être présente pour expliquer la vitesse à laquelle les amas de galaxies se déplacent.
D’autre part, l’Univers est en expansion depuis le Big Bang. Relativement récemment, les astronomes ont découvert que cette expansion semble s’accélérer. Ce phénomène serait provoqué par une forme d’énergie encore inconnue, dite « énergie noire », occupant à elle seule 70 % du cosmos.
Contrairement à la matière noire, qui pourrait partager certaines caractéristiques avec la matière ordinaire, on ne connaît que très peu de choses sur l’énergie noire, si ce n’est qu’elle agit comme une sorte d’« anti-gravité » et qu’elle jouerait un rôle de structure invisible dans la formation des galaxies.
De nombreuses hypothèses ont été avancées quant à la nature de la matière noire, allant des trous noirs aux naines brunes, en passant par des planètes géantes peu brillantes, des particules exotiques, etc. L’énergie noire, quant à elle, pourrait, selon certaines théories, être générée par des trous noirs. Cependant, aucune de ces propositions n’a pu être confirmée à ce jour, ce qui a conduit certains chercheurs à explorer d’autres modèles, dans lesquels ni matière noire ni énergie noire ne seraient nécessaires.
Richard Lieu, professeur de physique à l’Université d’Alabama à Huntsville (UAH), propose ainsi un nouveau modèle éliminant la nécessité de la matière et de l’énergie noires pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers ainsi que les mouvements des galaxies.
« Le nouveau modèle peut rendre compte à la fois de la formation et de la stabilité des structures, ainsi que des propriétés observationnelles clés de l’expansion de l’univers dans son ensemble, en utilisant des singularités de densité temporelles qui affectent uniformément tout l’espace pour remplacer la matière noire et l’énergie noire conventionnelles », explique-t-il dans un communiqué.
Des explosions rapides et intermittentes
Les travaux de Lieu s’appuient sur un précédent modèle avançant l’hypothèse selon laquelle la gravité pourrait exister sans masse. Cette théorie suggérait que l’excès de gravité nécessaire à l’agglomération des galaxies et à leurs mouvements proviendrait de défauts topologiques en forme de coquille répartis dans l’ensemble du cosmos. Ces structures pourraient modifier localement la courbure de l’espace-temps, simulant l’effet gravitationnel de la matière noire.
Cependant, « ce nouvel article propose une version améliorée du modèle précédent, qui est également radicalement différente », indique Lieu. Le nouveau modèle ne repose pas sur des phénomènes physiques exotiques, tels que la masse ou la densité négatives. Il avance que l’expansion de l’Univers résulte de singularités temporelles transitoires : une série d’explosions échelonnées dans le temps et inondant tout l’espace de matière et d’énergie. Autrement dit, il y aurait eu plusieurs Big Bang.
Mais ces explosions auraient été si rapides qu’elles demeurent inobservables et impossibles à retracer. Ces singularités apparaîtraient et disparaîtraient de façon intermittente. Contrairement à la théorie de l’état stationnaire, qui postulait une création continue de matière, le modèle de Lieu repose sur des phases ponctuelles, discrètes, et ne violerait pas les lois de conservation de la masse et de l’énergie. Leur brièveté et leur rareté expliqueraient pourquoi matière noire et énergie noire n’ont jamais été directement observées.
Ces singularités généreraient également un phénomène appelé « pression négative », une forme de densité énergétique qui, tout comme l’énergie noire, exercerait une force anti-gravitationnelle et provoquerait l’accélération de l’expansion de l’Univers. Un phénomène analogue aurait d’ailleurs été mentionné dans les premiers travaux d’Einstein, en lien avec certaines densités d’énergie associées à des champs magnétiques.
L’énergie et la matière noires n’apparaissant que brièvement ?
Contrairement aux hypothèses conventionnelles, les résultats de Lieu suggèrent que la matière et l’énergie noires ne sont pas omniprésentes dans l’Univers, mais se manifesteraient brièvement, au cours d’intervalles spécifiques durant lesquels elles rempliraient temporairement l’espace. Les seules exceptions seraient des variations aléatoires de densité spatiale, au niveau desquelles se forment des structures agglomérées, comme les galaxies.
Toutefois, l’expert souligne qu’il n’existe qu’une seule différence fondamentale entre le modèle standard cosmologique et le sien. Le premier propose une singularité unique et ponctuelle – le Big Bang – tandis que le second suggère de multiples singularités réparties sur l’histoire entière de l’Univers.
La prochaine étape de cette recherche consistera à confronter ces prédictions aux observations cosmologiques. Pour cela, Lieu estime que les instruments terrestres seront mieux adaptés que les dispositifs spatiaux, du fait de leur capacité à recouper les données en fonction du décalage vers le rouge.
« Avec une résolution suffisante du décalage vers le rouge (ou, de manière équivalente, du temps), affectée par le découpage du décalage, on pourrait simplement constater que le diagramme de Hubble présente des sauts dans la relation de distance au décalage vers le rouge, ce qui pourrait indiquer un comportement non continu de l’expansion », conclut-il. Les résultats de ces travaux sont détaillés dans la revue Classical and Quantum Gravity.