Une espèce humaine nouvellement nommée est l’ancêtre direct de l’homme moderne

Un changement de nomenclature qui simplifie la paléoanthropologie.

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À gauche : portrait d'Homo bodoensis. À droite : son crâne, utilisé dans cette nouvelle étude. | Ettore Mazza/Jeffrey H. Schwartz
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La paléoanthropologie a une histoire émaillée de propositions de nouvelles espèces élaborées à partir d’un petit nombre de fouilles. Résultat : au gré des découvertes, certaines espèces fossiles suivent une définition mouvante qu’il est difficile d’exploiter scientifiquement. C’est par exemple le cas des espèces du genre Homo au Chibanien — il y a 774 000 à 129 000 ans, à savoir Homo heidelbergensis et Homo rhodensiensis. Des chercheurs proposent donc de les supprimer, et de nommer Homo bodoensis la lignée humaine africaine du Chibanien dont découle Homo sapiens.

C’est un nouveau cadre de recherche, ni plus ni moins, qu’ont proposé quatre paléoanthropologues le 28 octobre dans la revue Evolutionary Anthropology. À partir d’une analyse méticuleuse de l’utilisation des termes Homo heidelbergensis et Homo rhodensis en paléoanthropologie, les auteurs concluent que ces termes ne sont plus pertinents aujourd’hui. Pire : ils ralentissent la discipline, puisque leur emploi peut recouvrir des définitions tellement variables que même les professionnels s’y perdent.

À première vue, l’entreprise semble relever de la « définitionite » aigüe dont souffre la paléoanthropologie, en raison de l’intérêt énorme accordé à l’odyssée évolutive du genre Homo. Rien que cette année, une équipe israélienne a annoncé la trouvaille d’une lignée ancestrale à Néandertal au Moyen-Orient, et une équipe chinoise proposait de définir une nouvelle espèce humaine à partir du crâne de l’homme de Harbin. Pourtant, la démarche des auteurs diffère par sa volonté simplificatrice et utilitaire : l’ancestralité de Homo bodoensis par rapport à Homo sapiens relève ici de l’hypothèse de travail et non d’une propriété à démontrer, adoptée car toutes les caractéristiques morphologiques spécifiques à Homo sapiens peuvent être dérivées de celles d’Homo bodoensis.

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Une nouvelle espèce africaine et levantine

Quel est le portrait-robot de notre ancêtre Homo bodoensis ? Ayant vécu en Afrique, et potentiellement au Moyen-Orient voire en Europe, au début du Chibanien — anciennement Pléistocène moyen, époque géologique s’étalant d’il y a 774 000 à 129 000 ans, cet homme présentait un mix de caractères ancestraux et modernes.

Par exemple, sa capacité crânienne chez le mâle adulte (1200 à 1325 cm3) est plus élevée que celle d’Homo erectus (600-1250 cm3) et se rapproche de celle d’Homo sapiens (1200-1500 cm3). Mais, tout comme Homo erectus, Homo bodoensis avait une épaisse voûte crânienne et des traits de visage robustes, ainsi qu’une face particulièrement prognathe (c’est-à-dire projetée vers l’avant).

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L’arbre du genre Homo proposé par les auteurs. Homo bodoensis apparait en jaune clair. © Evolutionary Anthropology/Roksandic et al.

Homo bodoensis est nommé à partir du fossile qui lui sert de référence, un crâne du genre Homo découvert en 1976 à Bodo D’ar en Éthiopie. Et il n’est pas seul : d’ores et déjà, les auteurs proposent de lui rattacher six spécimens, qui tous faisaient l’objet de controverses sans fin quant à leur rattachement taxonomique, notamment entre Homo heidelbergensis et Homo rhodensis.

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Le crâne de Bodo, référence proposée à la morphologie de Homo bodoensis. © Jeffrey H. Schwartz

Ces deux espèces d’Homo étaient jusqu’à présent les poids lourds dans la classification des Homo du Chibanien, qui fut une étape clé de l’évolution du genre Homo. Juste avant cette période, il y a environ 1 million d’années, Homo erectus se fragmente en plusieurs populations isolées, qui deviennent suffisamment distinctes pour être considérées comme des espèces au Chibanien.

De vieilles catégories aujourd’hui dépassées

Tout l’enjeu, soulevé par les auteurs, est d’utiliser des catégories pertinentes comme espèces fossiles. Pour compliquer encore plus le problème, les espèces fossiles diffèrent des espèces actuelles, qu’on peut approximativement définir chez les eucaryotes comme des populations d’individus interféconds relativement isolés génétiquement des autres populations. Les espèces fossiles ne peuvent pas atteindre ce niveau de précision, et doivent se contenter d’une définition morphologique… Jusqu’à récemment.

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Représentation d’artiste d’Homo bodoensis. © Ettore Mazza

En effet, les progrès de décryptage de l’ADN ancien ont permis de déterminer que des fossiles espagnols considérés comme des Homo heidelbergensis étaient en fait… des néandertaliens ! C’est l’un des arguments clés que développent les auteurs pour la disparition de ce terme nébuleux. Utilisé de manière générique pour tous les restes humains du Chibanien, ou de manière plus restrictive pour désigner des fossiles qui semblent ne pas relever de Néandertal seulement en raison de leur grand âge, Homo heidelbergensis est en bout de course car ses principales définitions s’entrechoquent et présentent un intérêt scientifique limité.

De plus, les fossiles du Chibanien en Extrême-Orient se révèlent presque systématiquement problématiques à interpréter comme Homo heidelbergensis, puisqu’ils présentent des traits qui leur sont spécifiques : signe qu’il faudrait leur trouver une désignation propre, comme peut-être l’Homme de Desinova ?

Du côté de Homo rhodensis, c’est bien simple : aucune définition ne semble faire consensus dans la communauté scientifique. De plus, le nom de cette espèce rend honneur à Cecil Rhodes, un homme d’affaires anglais du XIXe siècle sujet à controverses qui a bâti un empire industriel colonial et minier en Afrique australe. Cette politisation du nom de l’espèce obscurcit encore plus son utilisation scientifique derrière des polémiques. À contrario, la désignation Homo bodoensis est neutre politiquement, issue d’un lieu de découverte. Encore un atout pour le nouveau venu !

Source : Evolutionary Anthropology

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