Des chercheurs ont développé une technique permettant de produire du chocolat plus sain et plus durable, en utilisant la pulpe et une partie de la cabosse de cacao à la place du sucre. Alors que la production du chocolat conventionnel n’exploite que les fèves, cette nouvelle approche valorise les parties non utilisées du fruit et pourrait ainsi fournir un revenu supplémentaire aux agriculteurs. Le chocolat obtenu est moins sucré que celui ordinaire et est plus riche en fibres.
À l’instar des produits phares de l’agro-industrie, tels que l’huile de palme et le soja, le cacao suscite un débat permanent en matière de durabilité. Il est majoritairement produit au niveau de régions riches en biodiversité, telles que l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique du Sud, où il constitue un facteur majeur de déforestation.
En raison du rendement faible des cabosses de cacao (10 %), les besoins en terres et les émissions de carbone pour sa culture sont très élevés. La Côte d’Ivoire (le premier producteur mondial) a par exemple perdu 94 % de ses forêts en 60 ans pour la culture de cacao, dont la majorité est destinée au marché européen. On estime qu’une tonne de cacao industriel standard émet environ deux tonnes de CO2, depuis sa culture jusqu’à son conditionnement pour l’exportation.
D’autre part, les régions de production sont pour la plupart des pays en voie de développement qui dépendent fortement de l’entrée de devises. Or, les agriculteurs ne perçoivent qu’une infime partie du revenu du cacao. D’après une estimation de Mondelez, il faudrait transférer annuellement près de 10 milliards de dollars (soit 2,5 % des recettes mondiales de l’industrie) pour que 75 % des producteurs d’Afrique de l’Ouest puissent bénéficier d’un revenu équivalent au minimum vital. Nous avons d’ailleurs exploré le sujet en détail dans un article d’investigation.
D’un autre côté, le faible rendement du cacao provient du fait que seules les fèves sont utilisées pour la fabrication du chocolat. Or, les parties non utilisées, notamment la pulpe du fruit et la coque, constituent jusqu’à 75 % de la cabosse. Plutôt que d’être consommé, le fruit est juste jeté (en raison de la présence de parasites et autres maladies), tandis que la coque est utilisée en partie comme engrais ou comme combustible.
Des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Zürich (ETH), en Suisse, suggèrent que leur utilisation (du moins en partie) pourrait non seulement contribuer à la diversification des revenus des agriculteurs, mais également à réduire les impacts environnementaux pendant la phase de culture. Plus précisément, ils proposent d’utiliser la chair traitée et une partie de la coque (l’endocarpe) à la place du sucre ajouté. Le chocolat obtenu serait ainsi plus sain tout en étant aussi qualitatif que celui ordinaire. Leurs résultats sont détaillés dans la revue Nature Food.
Moins sucré et plus riche en fibres ?
Pour leur nouvelle recette, les chercheurs suisses ont séché l’endocarpe pour la réduire en poudre, puis l’ont mélangée avec la pulpe pour former une sorte de gel fibreux. Le gel obtenu est très sucré et peut facilement remplacer le sucre habituellement utilisé dans la recette traditionnelle du chocolat. Cependant, le gel devait être précisément dosé pour obtenir la bonne texture. Une pulpe trop juteuse donne un chocolat grumeleux, tandis qu’une pulpe trop sèche donne trop peu de sucrosité (perception du sucré). Alors que dans le procédé habituel, introduire de l’humidité détruit le produit, ils ont constaté dans leur nouvelle approche qu’on pouvait obtenir la bonne texture avec 20 % de gel de cacao.
Ce taux de gel résulte en une sucrosité équivalente à 5-10 % de sucre en poudre. À titre de comparaison, le chocolat noir standard contient entre 30 et 40 % de sucre en poudre. En revanche, les grands crus d’Amérique du Sud possèdent une douceur et des notes fruitées équivalentes au chocolat produit avec le nouveau procédé.
Les chercheurs ont également constaté que leur « chocolat au fruit » contient 20 % plus de fibres que le chocolat noir standard. Il contient notamment 15 grammes de fibres pour 100 grammes de chocolat contre 12 grammes pour le chocolat conventionnel. « Les fibres sont précieuses d’un point de vue physiologique, car elles régulent naturellement l’activité intestinale et empêchent une augmentation trop rapide du taux de sucre dans le sang lors de la consommation de chocolat », explique dans un communiqué de l’ETH Kim Mishra, auteur principal de l’étude.
Les acides gras saturés sont également réduits de 30 % (23 grammes contre 33 habituellement). Ces graisses présentent un risque pour la santé lorsqu’elles sont consommées en trop grandes quantités. « Il existe une relation entre une consommation accrue de graisses saturées et un risque accru de maladies cardiovasculaires », explique l’expert.
Des revenus supplémentaires pour les agriculteurs
Les chercheurs estiment que leur approche pourrait potentiellement augmenter le revenu des agriculteurs, car les fèves sont généralement traitées localement. Ils pourraient ainsi vendre à la fois les fèves, les pulpes et l’endocarpe après l’avoir séché. « Cela leur permettrait de générer des revenus à partir de trois flux de création de valeur. Et une plus grande création de valeur pour le fruit du cacao le rend plus durable », suggère Mishra. D’après ses estimations, la recette permettrait à terme de réduire de 6 % l’utilisation de terre et d’eau.
À noter toutefois que le processus nécessite également 12 % d’énergie supplémentaire (et donc plus d’émissions de carbone) que le traitement traditionnel des fèves. Sans compter que la chaîne de valeur devrait être entièrement réadaptée, car les agriculteurs devraient se pourvoir de nouvelles installations de séchage. Néanmoins, la consommation énergétique peut être réduite en utilisant le séchage naturel au soleil ou des séchoirs à énergie solaire, selon les experts. Cependant, bien que de nombreuses étapes doivent être franchies avant la commercialisation du produit, une première étape a déjà été effectuée : la demande de brevet, déposée par les chercheurs de l’ETH.