De nombreuses questions entourent Sagittarius A*, le trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée. Les scientifiques s’interrogent notamment sur sa masse exacte ou sur le comportement des étoiles qui évoluent à proximité. Obtenir davantage de données sur cet objet massif nécessite d’observer attentivement le comportement des étoiles qui l’entourent, avec du matériel de pointe. Or, une nouvelle technique d’analyse a permis d’obtenir des images incroyablement détaillées de l’environnement de Sagittarius A* avec le Very Large Telescope.
Le Very Large Telescope (VLT) se compose de quatre télescopes principaux (dotés de miroirs primaires de plus de huit mètres de diamètre) et de quatre télescopes auxiliaires mobiles de 1,8 mètre. Ces télescopes peuvent fonctionner ensemble pour former un interféromètre géant, le Very Large Telescope Interferometer (VLTI), qui affiche une précision jusqu’à 25 fois plus importante qu’avec les télescopes utilisés séparément. C’est justement en mode VLTI que les astronomes ont pu obtenir ces nouvelles images, entre mars et juillet 2021.
« Le VLTI nous donne cette incroyable résolution spatiale et, avec les nouvelles images, nous atteignons une profondeur jamais atteinte auparavant », explique dans un communiqué Julia Stadler, chercheuse à l’Institut Max Planck d’astrophysique de Garching, qui a dirigé les opérations d’imagerie.
Cette prouesse a pu être réalisée grâce à GRAVITY, un instrument spécifiquement conçu pour combiner la lumière des quatre télescopes principaux du VLT — une technique appelée « synthèse d’ouverture ». Les nouvelles observations sont non seulement impressionnantes, mais permettent de confirmer que les étoiles suivent exactement les trajectoires prédites par la relativité générale.
Un nouveau regard sur le cœur de notre galaxie
Jamais une étoile n’a été observée aussi près d’un trou noir ! L’étoile S29, dont la période orbitale est d’environ 90 ans, fait l’objet de ce nouveau record : à la fin du mois de mai 2021, elle a été observée à « seulement » 13 milliards de kilomètres du trou noir (soit environ 90 fois la distance Terre-Soleil), se déplaçant à 8740 km/s. Pour Reinhard Genzel, directeur de l’Institut Max Planck de physique extraterrestre à Garching, en Allemagne, et son équipe, c’est l’aboutissement de trois décennies de recherche sur les étoiles qui orbitent autour de Sagittarius A*. Leurs découvertes font l’objet de deux articles publiés en septembre et en décembre dans Astronomy & Astrophysics.
« Suivre les étoiles sur des orbites rapprochées autour de Sagittarius A* nous permet de sonder avec précision le champ gravitationnel autour du trou noir massif le plus proche de la Terre, de tester la relativité générale et de déterminer les propriétés du trou noir », détaille Genze. La précision des images était telle qu’ils ont même pu observer une étoile, baptisée S300, jamais repérée jusqu’à présent.
Pour atteindre ce niveau de précision, les astronomes ont fait appel à une technique d’apprentissage automatique, appelée « théorie des champs d’information » — une théorie qui décrit comment les données et les connaissances peuvent être utilisées pour déduire les propriétés d’un champ, ce dernier étant vu comme n’importe quelle quantité définie dans un espace. Concrètement, cette approche consistait à modéliser l’apparence des sources lumineuses, de simuler la façon dont GRAVITY les observerait, puis de comparer cette simulation aux observations.
Une nouvelle estimation de la masse de Sgr A*
La théorie de la relativité générale soutient que la gravité est le résultat de la masse d’un objet courbant le tissu de l’espace-temps ; cette courbure est d’autant plus importante que la masse est grande. Le champ gravitationnel intense émis par un trou noir supermassif est tel qu’il affecte la lumière des étoiles qui passent à proximité — ces ondes lumineuses sont d’autant plus affectées qu’elles sont proches de cet objet massif (la théorie d’Einstein suggère que la lumière perd de l’énergie lorsqu’elle peine à se déplacer dans un champ gravitationnel trop intense). Ainsi, l’étude des mouvements des étoiles situées à proximité d’un trou noir permet d’en déduire sa masse et sa vitesse de rotation.
Ces récentes observations ont permis aux scientifiques d’affiner la trajectoire de plusieurs étoiles situées aux alentours de Sgr A*. Mais surtout, les données collectées leur ont permis d’effectuer l’estimation la plus précise à ce jour de la masse de Sgr A* : celle-ci s’élève à 4,3 millions de masses solaires (avec une précision de ± 0,25%). Les scientifiques ont également pu affiner l’évaluation de la distance du trou noir, qui se trouve vraisemblablement à 27 000 années-lumière du Soleil.
Le communiqué de l’ESO précise que GRAVITY devrait bénéficier d’une mise à niveau au cours des prochaines années, qui le rendra encore plus sensible, l’objectif étant de détecter de nouvelles étoiles toujours plus proches du trou noir. De même, l’Extremely Large Telescope (ELT), actuellement en cours de construction et dont la mise en service est prévue pour 2025, devrait permettre de mesurer très précisément la vitesse de ces étoiles. « Grâce à la puissance combinée de GRAVITY+ et de l’ELT, nous serons en mesure de déterminer à quelle vitesse le trou noir tourne », conclut Frank Eisenhauer, chercheur principal de GRAVITY. Ce sera alors une grande première.
Séquence animée basée sur les nouvelles images (© ESO) :