Au cœur de notre planète se trouve le noyau interne, ou graine, une sphère solide de quelque 1200 kilomètres de rayon, composée principalement de fer et de nickel. Il est admis aujourd’hui que ce noyau interne se déplace et/ou change au fil des décennies, mais les caractéristiques de ce mouvement/changement sont sujettes à débat. Dans une nouvelle étude, des chercheurs de l’Université de Californie du Sud montrent que le noyau n’effectue pas un mouvement régulier continu, mais oscille selon un cycle de six ans.
La croissance du noyau interne fournit de l’énergie à la géodynamo, qui génère le champ magnétique terrestre. Il est donc important de bien comprendre sa structure, son mouvement et son évolution. Du fait de son extrême profondeur, le noyau interne reste un endroit mystérieux. Seules les ondes sismiques permettent de révéler certaines caractéristiques clés. Par exemple, il se trouve qu’elles se propagent plus rapidement sur l’axe nord-sud que parallèlement à l’équateur. Ce phénomène, appelé anisotropie sismique de la graine, proviendrait de l’anisotropie cristalline du fer.
Concernant sa dynamique, plusieurs valeurs ont été avancées. Sur la base de l’anisotropie des ondes sismiques, certains scientifiques ont suggéré en 1996 que le noyau interne tournait plus vite que le manteau et la croûte terrestre, effectuant une « super-rotation » (de l’ordre de 1° par an). Quelques années plus tard, d’autres chercheurs ont estimé que cette super-rotation serait en réalité extrêmement lente, de 0,1 à 1° par million d’années ! En 2019, John Vidale, du Département des sciences de la Terre de l’Université de Californie du Sud, a affirmé à son tour que le taux de rotation de la graine est de 0,07° par an. Il montre aujourd’hui, avec son collègue Wei Wang, que le noyau interne suit en fait un mouvement oscillatoire.
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Une alternance de sous-rotation et de super-rotation lentes
Cette étude remet complètement en question les précédentes théories suggérant que le noyau interne tourne à un rythme plus rapide que la surface de la planète. À partir des données sismiques, Vidale et Wang montrent que le noyau interne a changé de direction entre 1969 et 1974 : « Nous constatons que le noyau interne a subi une sous-rotation d’au moins 0,1° entre 1969 et 1971, puis une super-rotation dans le sens opposé d’environ 0,29° entre 1971 et 1974 », précisent-ils dans Science Advances.
Ce modèle oscillatoire pourrait notamment expliquer la variation de la durée du jour, qui elle aussi a augmenté, puis diminué de façon périodique au fil des années. « La coïncidence de ces deux observations fait de l’oscillation l’interprétation probable », a déclaré Vidale dans un communiqué.
En 2019, Vidale et son équipe avaient examiné les ondes rétrodiffusées depuis l’intérieur du noyau interne — qui permettent d’évaluer de manière plus précise la rotation — à partir de deux essais nucléaires souterrains réalisés à trois ans d’intervalle (en 1971 et 1974) dans l’archipel arctique de Novaya Zemlya, en Russie. Les ondes ont été enregistrées par le Large Aperture Seismographic Array (LASA).
Ils ont alors découvert que le noyau interne tournait plus lentement que prévu, effectuant une super-rotation d’environ 0,07° ± 0,02° par an — soit précisément 0,29° au cours des trois années, rapportent les chercheurs. Après avoir mesuré ce taux de rotation avec une résolution sans précédent, Vidale et Wang ont entrepris d’appliquer leur méthode à une autre paire d’essais nucléaires, qui avaient eu lieu en 1969 et 1971 sous l’île d’Amchitka, à l’extrémité de l’archipel de l’Alaska. Contre toute attente, les chercheurs ont alors constaté que le noyau interne tournait à cette époque en sens inverse, effectuant une sous-rotation de 0,05° par an en moyenne.
Première preuve du mouvement oscillatoire de la graine
C’est la première fois qu’une étude met en évidence le caractère oscillatoire du mouvement du noyau interne, grâce à des observations sismologiques directes. « L’idée que le noyau interne oscille était un modèle existant, mais la communauté était divisée quant à sa viabilité. […] Nous avons été assez surpris de constater qu’il se déplaçait dans l’autre sens », explique Vidale.
Ce modèle oscillatoire est cohérent avec plusieurs observations. Tout d’abord, il soutient l’hypothèse selon laquelle le noyau interne oscille en fonction des variations de la durée du jour — plus ou moins 0,2 seconde sur six ans — et du champ magnétique terrestre, qui connaît lui aussi des fluctuations et des inversions périodiques bien connues, mais mal comprises. Cette étude permet également de répondre à de nombreuses questions posées par la communauté scientifique concernant la façon dont le noyau interne s’est formé et comment il évolue au fil du temps.
D’autres recherches devront toutefois être menées pour confirmer ce modèle. « Nos données n’excluent pas d’autres processus non rotatifs », soulignent Vidale et Wang. Tous deux ont noté que les futurs travaux dépendraient de la recherche d’observations suffisamment précises pour les comparer à leurs résultats. Les deux chercheurs se sont appuyés sur des essais nucléaires dont l’emplacement et l’heure exacts étaient connus, ce qui leur a facilité la tâche. Les essais nucléaires sont interdits depuis 1996, année de la signature du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. En outre, le Large Aperture Seismic Array a fermé ses portes en 1978. Les futures recherches reposeront donc sur des données sismiques relativement imprécises.