Découverte d’une « source » d’énergie bactérienne vieille de 2,5 milliards d’années

Un genre de bactéries jusqu'ici jamais répertorié, se nourrissant uniquement de phosphites.

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Des chercheurs ont découvert un nouveau genre de bactéries dont le métabolisme énergétique est uniquement basé sur l’oxydation du phosphite en phosphate. Contrairement à la plupart des organismes vivants, leur approvisionnement énergétique ne dépend ainsi ni de la lumière ni de la décomposition de la matière organique. Il s’agirait d’un processus ayant vu le jour il y a plus de 2,5 milliards d’années, résultant probablement de l’une des premières évolutions biochimiques des plus anciennes formes de vie sur Terre.

Représentant environ 0,09 % de la masse totale de la croûte terrestre, le phosphore est un élément essentiel au métabolisme de tous les êtres vivants sur la planète. En raison de sa grande réactivité, il ne se trouve jamais sous sa forme élémentaire dans la nature, mais sous forme de composés, tels que le phosphate inorganique, de phosphite, d’hypophosphite, de phosphine ainsi que d’esters de phosphate et de phosphonates organiques.

Parmi les composés phosphorés les plus stables figurent les phosphates, des constituants essentiels que l’on retrouve notamment dans l’ADN, l’adénosine triphosphate (ou ATP, la principale source d’énergie pour la plupart des fonctions cellulaires), les phospholipides (composant les membranes cellulaires), etc.

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Il a été suggéré que la conversion (par oxydation) du phosphite en phosphate pourrait également servir de source d’énergie pour certains micro-organismes. Ce processus permettrait notamment de s’approvisionner en énergie uniquement en présence de phosphite et sans nécessiter de lumière (comme les organismes photosynthétiques) ou la décomposition de la matière organique.

Cependant, bien que cette hypothèse ait été suggérée dans les années 1980, un élément clé manquait pour en comprendre le mécanisme biochimique exact : l’enzyme nécessaire à la réaction. Toutefois, la récente découverte de bactéries anaérobies tirant uniquement leur énergie du phosphite semble confirmer l’hypothèse. Une équipe de l’Université de Constance (en Allemagne) est parvenue à isoler ces micro-organismes afin d’étudier plus avant leur métabolisme énergétique. Leurs résultats — disponibles sur la plateforme PNAS — ont finalement mis au jour la fameuse enzyme nécessaire au processus.

Des bactéries se nourrissant uniquement de phosphite

Se formant naturellement par le biais de la foudre et des éruptions volcaniques, le phosphite est retrouvé à de faibles niveaux dans les écosystèmes aquatiques naturels et les stations d’épuration. Son oxydation par des organismes vivants a été observée pour la première fois chez des Desulfotignum phosphitoxidans, des bactéries anaérobies strictes retrouvées dans les sédiments marins. Ces bactéries oxydent notamment le phosphite en phosphate par le biais de la réduction simultanée du sulfate en sulfure, ou par le biais de la réduction du CO2 en acétate (bactéries homoacétogènes).

Plus tard, l’équipe de l’Université de Constance a découvert une autre espèce — Phosphitispora fastidiosa — tirant également son énergie du phosphite et isolée de la boue de stations d’épurations. Lorsqu’elle a été cultivée dans un environnement dans lequel elle ne disposait que de phosphite comme source de nourriture (c’est-à-dire sans oxygène, sans lumière et sans matière organique), elle s’est multipliée.

« Cette bactérie subsiste grâce à l’oxydation du phosphite et, à notre connaissance, exclusivement grâce à cette réaction », explique dans un communiqué de l’Université de Constance le coauteur principal de l’étude, Bernhard Schink. « Il couvre ainsi son métabolisme énergétique et peut en même temps construire sa substance cellulaire à partir du CO2 », ajoute-t-il. À l’instar des plantes, il s’agirait ainsi d’organismes autotrophes, capables de produire de la matière organique à partir de minéraux. En revanche, contrairement aux premières, ils n’ont pas besoin de lumière.

En observant les mécanismes régissant le processus d’oxydation, les experts ont découvert qu’il était catalysé par une enzyme appelée phosphite déshydrogénase AMP-dépendante (ApdA) — qui a également été retrouvée chez D. phosphitoxidans. « Ce qui est très surprenant, c’est que lors de son oxydation, le phosphite est apparemment couplé directement au précurseur du porteur d’énergie AMP, ce qui crée le porteur d’énergie ADP », explique Nicolai Müller, également coauteur de la recherche.

Plus précisément, en effectuant une modélisation tridimensionnelle de sa structure et de son centre d’activation, il a été constaté que l’enzyme catalyse l’oxydation du phosphite en présence d’adénosine monophosphate (AMP) pour former de l’adénosine diphosphate (ADP). Au cours d’une réaction ultérieure, deux des ADP générées sont converties en un seul ATP.

oxydation phosphite
Mécanisme de réaction suggéré de l’oxydation du phosphite par le phosphite déshydrogénase dépendant de l’AMP, ou ApdA (en jaune). © Zhuqing Mao et al.

Un processus datant de la Terre primitive

Selon les experts, il s’agirait non seulement d’une nouvelle espèce de bactérie, mais également appartenant à un genre jusqu’ici jamais répertorié. Les résultats de l’étude mettent notamment au jour une réaction de phosphorylation s’appuyant exclusivement sur le phosphite, ce qui est très inhabituel pour un organisme vivant.

En outre, il est suggéré qu’il s’agit d’un mécanisme biochimique primitif datant probablement de l’époque archéenne, il y a environ 2,5 milliards d’années. Il s’agit d’une période au cours de laquelle la Terre commençait tout juste à refroidir et le phosphite abondait encore dans la croûte terrestre (qui était alors moins oxydée). Cela suggère que le phosphite a probablement joué un rôle clé dans l’évolution des premières formes de vie, qui ne disposaient que de composés inorganiques comme source d’énergie.

« Le métabolisme que nous venons de découvrir s’inscrit parfaitement dans la phase précoce de l’évolution des micro-organismes », estime Schink. Ce processus, particulièrement adapté aux environnements très hostiles, pourrait aussi fournir des indices concernant l’éventuelle présence de la vie sur d’autres planètes.

Source : PNAS

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