L’Univers regorge d’objets tous plus étonnants les uns que les autres. Parmi les étoiles, les planètes, les trous noirs ou encore les nébuleuses, ils est également possible de croiser des nuages moléculaires d’alcool géants.
À 6500 années-lumière de la Terre, se trouve une région quelque peu particulière puisqu’elle contient un nuage moléculaire géant d’alcool d’une longueur d’environ 500 milliards de kilomètres. Situé dans une région nommée « W3(OH) », ce nuage est majoritairement composé de méthanol (alcool méthylique) et d’éthanol (alcool éthylique) pour une petite fraction (la forme buvable). Bien qu’un tel nuage puisse paraître étrange, de nombreuses réactions chimiques ont lieu au sein des nuages moléculaires et la formation de molécules et composés chimiques complexes n’est pas rare. D’autant plus que l’alcool est une molécule relativement simple, composée d’hydrogène, d’oxygène et de carbone.
Cette structure a été observée par une équipe d’astrophysiciens britanniques du Jodrell Bank Observatory en 2014, grâce au radiotélescope MERLIN. L’existence d’un nuage d’alcool n’est pas seulement une affaire de curiosité, elle offre également des propriétés extrêmement intéressantes pour l’astrophysique. L’abondance de molécules simples et identiques réunies au même endroit, peut conduire à une émission lumineuse stimulée si l’énergie nécessaire est apportée au système. Dans ces conditions, le phénomène est connu sous le nom de « maser astrophysique ». L’acronyme maser signifie microwave amplification by stimulated emission of radiation ; lorsque ce processus utilise la partie visible du spectre électromagnétique, il s’agit d’un laser.
L’émission stimulée diffère de l’émission spontanée dans laquelle une molécule ou un atome émet aléatoirement un photon. L’électron d’un atome est dans un état excité (niveau d’énergie supérieur) et, lors de la désexcitation (passe d’un niveau d’énergie « n » à un niveau « n-1 »), il émet un photon. Le modèle quantique de l’atome impose à l’électron des niveaux d’énergie bien définis (discrétisés), donc le photon émis lors de l’émission spontanée possède également une énergie déterminée.
Mais lorsque l’électron dans un état excité est frappé par un photon, cela peut déclencher la désexcitation de l’électron et l’émission d’un photon : c’est l’émission stimulée. Cependant, n’importe quel photon ne peut pas provoquer cette désexcitation ; le photon doit posséder une longueur d’onde correspondant exactement à l’énergie de transition entre les deux états électroniques. Dans le cas d’une structure moléculaire, le photon émis d’un électron par émission stimulée peut frapper un autre électron et provoquer une cascade d’émission stimulée. Le flux de photons provoque ainsi un fort dégagement lumineux sur une longueur d’onde particulière.
Trois conditions sont nécessaires pour obtenir un maser astrophysique : une ou plusieurs molécules possédant un spectre d’émission intense, une concentration locale de ces molécules et enfin une source d’énergie suffisante pour enclencher l’émission spontanée. W3(OH) possède toutes ces caractéristiques. En effet, les molécules de méthanol ont un spectre d’émission caractéristique, elles sont densément regroupées au sein d’un nuage, et ce nuage entoure une nébuleuse stellaire dont les proto-étoiles constituent une importante source d’énergie.
Les observations ont révélé de gigantesques filaments de gaz reliés entre eux et constituant les différentes sources maser. Ces données ont modifié les modèles de formation des masers astrophysiques, qui suggéraient que ces derniers ne pouvaient exister que sous forme de points isolés et non sous forme de structures liées entre elles. En outre, les observations ont montré que le nuage tournait autour d’une zone centrale stellaire avec un fort taux de formation d’étoiles.
Le maser a été inventé en 1953 par les physiciens américains Charles Townes, James P. Gordon et Herbert Zeiger de l’université de Columbia. Il s’agissait alors d’un maser optique à ammoniac. Longtemps, les scientifiques ont pensé que les maser ne pouvaient être que d’origine artificielle, des créations strictement humaines. Grâce à des découvertes comme W3(OH), les physiciens savent aujourd’hui que des maser astrophysiques peuplent également l’Univers.
Source : Royal Astronomical Society