Une nouvelle analyse suggère que le premier jour presque dépourvu de banquise dans l’Arctique pourrait survenir plus de 10 ans plus tôt que précédemment estimé. En d’autres termes, cette région pourrait devenir pour la première fois « libre de glace » d’ici août ou septembre 2030, quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre prévu. Ces prévisions sont particulièrement alarmantes pour la biodiversité et la population locale, dont la survie dépend étroitement de la banquise.
D’importantes pertes de la couverture de banquise en Arctique ont été enregistrées depuis le début des observations par satellite (en 1978). Entre 2007 et 2020, les niveaux de glace ont été les plus bas jamais enregistrés. Se réchauffant deux fois plus vite que le reste globe, cette région perdrait 13 % de sa banquise chaque décennie. Bien que des pertes de banquise saisonnières se produisent chaque année, la saison de fonte a tendance à débuter toujours plus tôt que prévu.
Certains modèles climatiques actuels prédisent que la région sera probablement libre de glace tous les mois de septembre avant le milieu du siècle. Le mois de septembre étant la période annuelle au cours de laquelle la surface de la banquise arctique est à son minimum. À noter que le terme « libre de glace » ne signifie pas que toute la banquise arctique aura disparu, mais plutôt que sa superficie totale passera en dessous de 1 million de kilomètres carrés. Représentant moins de 20 % de la couverture saisonnière minimale dans les années 1980, ce seuil est généralement défini par les scientifiques comme le minimum requis pour l’équilibre global (climatique et écosystémique) local.
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Ces dernières années, l’océan Arctique ne comptait plus que 3,3 millions de kilomètres carrés de banquise les mois de septembre. Les changements observés au niveau de la banquise arctique sont principalement dus aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre, qui exacerbent des phénomènes de rétroaction interconnectés. Bien que des rétroactions négatives — telles que l’influence de l’épaisseur et du taux de croissance de la glace — puissent atténuer cette perte dans une certaine mesure, cela n’est malheureusement pas suffisant pour compenser les tendances toujours à la baisse.
D’un autre côté, la variabilité des modèles climatiques entrave la précision des prévisions. Afin de combler les lacunes, des chercheurs de l’Université du Colorado à Boulder (UC Boulder, aux États-Unis) ont effectué une nouvelle analyse de la littérature existante concernant les évolutions prévues pour la banquise arctique. De nouvelles modélisations ont également été effectuées pour réévaluer à quel moment et à quelle fréquence la région serait libre de glace.
Vers des étés arctiques « bleus »…
D’après la nouvelle modélisation de l’étude, le premier jour libre de glace pourrait survenir dans l’Arctique plus de 10 ans plus tôt qu’initialement prévu (d’ici 2030). Cette projection impliquerait tous les scénarios envisagés d’émissions de gaz à effet de serre. De plus, la région pourrait déjà connaître plusieurs jours consécutifs sans glace en septembre, environ 4 ans plus tôt que prévu.
En outre, d’ici la fin du siècle, la saison libre de glace pourrait durer plusieurs mois par an en fonction des futurs scénarios d’émission. En d’autres termes, la fréquence à laquelle cette configuration se produit pourrait varier en fonction des niveaux de réchauffement. Si le réchauffement atteint 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, il est probable que cela se produise dans les prochaines décennies. Si les températures sont maintenues en dessous du seuil de 1,5 °C, il y a moins de 10 % de chances que l’Arctique ne soit pas libéré de sa glace. En revanche, si le réchauffement atteint ou dépasse les 2 °C, les mois sans glace pourraient survenir presque chaque année.
Cette tendance de déclin transformerait l’Arctique en un environnement complètement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. « La transition vers un Arctique sans glace signifie un changement de régime d’une couverture de glace de mer pérenne, à une couverture de glace de mer saisonnière, ou d’un été arctique blanc à un été arctique bleu », ont expliqué les experts dans leur étude, décrite dans la revue Nature Reviews Earth & Environment.
Cela aura des conséquences dramatiques non seulement sur les écosystèmes, mais également sur la population locale et l’équilibre climatique mondial. En effet, de tels changements ne se seraient pas produits depuis au moins 80 000 ans. Les étés arctiques sans glace menaceraient par exemple la survie des mammifères dépendant de la banquise, tels que les ours polaires et les phoques. Le réchauffement des eaux arctiques pourrait également provoquer la migration d’espèces de poissons exotiques, ce qui pourrait mettre en danger la biodiversité indigène.
D’un autre côté, la diminution de la banquise provoquerait un « fetch » (la distance maritime sur laquelle souffle le vent sans rencontrer d’obstacle) plus important, augmentant la hauteur des vagues et ainsi l’érosion côtière. En conséquence, les populations vivant à proximité de côtes seraient contraintes de se déplacer. La perte de la banquise pourrait cependant également stimuler l’activité économique de la région, en raison d’une meilleure accessibilité maritime. Cela pourrait par contre à son tour avoir des impacts négatifs imprévisibles, tels que la pollution et l’introduction d’espèces exotiques.
Toutefois, il est important de considérer que la banquise arctique est incroyablement résiliente et peut facilement se resolidifier si l’atmosphère refroidit, même légèrement. « Contrairement à la calotte glaciaire du Groenland qui a mis des milliers d’années à se former, même si nous faisions fondre toute la glace de mer de l’Arctique, si nous parvenons ensuite à trouver un moyen de réduire le CO2 de l’atmosphère à l’avenir pour inverser le réchauffement, la glace de mer pourrait revenir en une décennie », explique sur le blog de l’UC Boulder, Alexandra Jahn, l’auteure principale de la recherche. « Ainsi, même si des conditions sans glace sont inévitables, nous devons quand même maintenir nos émissions aussi basses que possible pour éviter des conditions sans glace prolongées », conclut l’experte.