Les scientifiques estiment que certaines lunes glacées du système solaire externe contiennent probablement un océan sous leur enveloppe de glace. Parmi elles, Europe, l’une des lunes de Jupiter, qui comporte un océan d’eau liquide salée sous sa coquille glacée — et qui est considérée aujourd’hui comme l’un des meilleurs espoirs de trouver une forme de vie extraterrestre. Une nouvelle étude suggère que des zones de fonte partielle de glace d’eau pourraient alimenter l’océan en oxygène, et ainsi fournir les conditions propices à la vie.
Les scientifiques ont déjà détecté sur Europe tous les paramètres propices au développement de la vie : de l’eau, de l’oxygène et d’autres éléments, tels que du carbone et du soufre. L’oxygène provient des réactions entre les particules chargées provenant du rayonnement solaire et les molécules d’eau présentes à la surface d’Europe : les liaisons se brisent, l’hydrogène s’échappe dans l’espace et l’oxygène, plus lourd, reste en surface. Seule ombre au tableau : la croûte de glace qui entoure cette lune, dont l’épaisseur est comprise entre 15 et 25 kilomètres, agissant comme une barrière infranchissable entre l’océan liquide qui se trouve au-dessous et l’oxygène absorbé en surface.
Comment envisager que la vie soit apparue dans l’océan profond si l’oxygène ne peut y parvenir ? Marc Hesse, professeur au Département des sciences géologiques de l’Université du Texas à Austin et co-auteur de la nouvelle étude, avance que l’oxygène pourrait être transporté jusqu’à l’océan par de l’eau salée. En effet, certaines zones de la croûte de glace d’eau sont partiellement fondues sous l’effet des courants de convection de l’océan. Ces bassins de saumure induisent la formation de « terrains chaotiques », qui favoriseraient l’acheminement de l’eau salée jusqu’à l’océan.
Des niveaux d’oxygène pouvant atteindre ceux des océans de la Terre
Une étude publiée en 2011 dans Nature avait déjà suggéré la présence de ces terrains chaotiques, se formant au-dessus de vastes poches d’eau liquide au sein de la coquille de glace, à seulement trois kilomètres de profondeur sous la surface. Ces terrains chaotiques sont à l’origine des stries, des crêtes et des fissures qui parcourent la surface d’Europe ; ils couvent environ 25% de sa surface.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs s’appuient sur des modélisations informatiques pour montrer comment pourrait évoluer la saumure riche en oxygène dans ces terrains atypiques. Ce type de recherche s’inscrit directement dans le cadre de la mission Europa Clipper de la NASA, qui prévoit d’envoyer une sonde pour explorer en détail cette lune de Jupiter en octobre 2024, en espérant y trouver la vie ; les scientifiques essaient d’envisager tous les aspects d’Europe afin de préparer au mieux la future mission.
Le modèle conçu par les chercheurs montre que la saumure s’écoule de manière distincte, sous la forme d’une « onde de porosité » qui se déplace progressivement dans la glace ; les pores de la glace s’élargissent momentanément, laissant passer la saumure avant de se refermer. Le processus prendrait plusieurs milliers d’années. Près de 86% de l’oxygène absorbé à la surface pourrait être transporté de cette manière jusqu’à l’océan d’Europe. « Notre recherche fait entrer ce processus dans le domaine du possible », a déclaré Hesse.
Les données disponibles suggèrent qu’une large gamme de niveaux d’oxygène pourraient avoir été ainsi délivrés à l’océan d’Europe au cours de son histoire. Les estimations les plus optimistes laissent penser que les niveaux d’oxygène de cet océan pourraient être similaires à ceux des océans terrestres ! « À partir de la distribution des terrains chaotiques et de l’âge de la surface d’Europe, nous estimons que le drainage des saumures pourrait délivrer de l’O2 à l’océan à des taux de 2,0 × 106 à 1,3 × 1010 mol/an », écrivent les chercheurs dans leur publication. Ce qui ne fait que renforcer l’espoir de trouver une forme de vie dans cet océan souterrain. « Il est tentant de penser que des organismes aérobies vivent juste sous la glace », a déclaré Steven Vance, chercheur au Jet Propulsion Laboratory de la NASA et co-auteur de l’étude.
Un océan maintenu liquide grâce aux forces de marée
Europe, comme les autres lunes de Jupiter, est soumise à d’importantes forces de marée. Son orbite est elliptique, ce qui fait varier la distance qui la sépare de Jupiter. Lorsqu’elle se rapproche de Jupiter, l’attraction gravitationnelle augmente, provoquant un allongement de la forme de la lune ; tandis que lorsqu’elle s’éloigne de la planète, la force gravitationnelle diminue, amenant Europe à adopter une forme plus sphérique, ce qui crée des marées dans son océan.
Les scientifiques n’ont pas encore tout à fait saisi la relation entre le terrain chaotique d’Europe et le transport de l’oxygène, mais ils pensent que les courants de convection de l’océan — causés par les forces de marée — génèrent de la chaleur qui fait fondre partiellement la glace (l’énergie orbitale est dissipée sous forme de chaleur dans l’ensemble de la lune). « Des études antérieures montrent que le chauffage par les marées augmente la température des remontées d’eau dans la partie convective de la coquille de glace d’Europe jusqu’au point de fusion de la glace pure », écrivent les auteurs. La présence de chlorure de sodium dans la glace favoriserait d’autant plus la fonte. Si la glace sous la saumure est suffisamment fondue, alors cette dernière peut en théorie s’écouler jusqu’à l’océan.
Europe semble donc réunir tous les ingrédients essentiels à la vie : l’eau, l’oxygène (et autres éléments chimiques) et de l’énergie. L’un des objectifs de la mission Europa Clipper est d’améliorer les estimations concernant les taux d’oxygène et la disponibilité des autres molécules nécessaires à la vie. Pour ce faire, la sonde embarquera pas moins de dix instruments scientifiques, dont le MAss SPectrometer for Planetary EXploration/Europa (MASPEX), conçu pour collecter, identifier et quantifier l’ensemble de gaz formés sur cette lune.