En associant diamant ultra-pur et contrôle de spin à l’échelle atomique, QuTech et Fujitsu ont franchi un seuil inédit dans le calcul quantique : un taux d’erreur de seulement 0,001 %. Ce taux d’erreur considérablement réduit a été obtenu à l’aide de diamants disposant d’une configuration atomique particulière et de grilles de conception complexe. Cette avancée représente un progrès notable vers une réduction des erreurs de calcul des ordinateurs quantiques.
En exploitant les principes de la mécanique quantique, les ordinateurs quantiques sont censés disposer à terme d’une puissance de calcul largement supérieure à celle des ordinateurs classiques. Pour ce faire, ils s’appuient sur des séquences d’opérations élémentaires appelées portes quantiques. Il s’agit plus exactement des briques de base des circuits quantiques opérant sur un petit nombre de bits quantiques (qubits), comme le sont les portes logiques pour les circuits classiques, lesquels opèrent sur un ensemble de bits.
L’un des principaux défis pour le développement des ordinateurs quantiques est d’améliorer la fidélité des portes quantiques. Autrement dit, pour que les ordinateurs quantiques puissent fonctionner de manière fiable, ces portes doivent être extrêmement précises. Pour ce faire, le taux d’erreur pour chaque opération doit idéalement être inférieur à 0,1 %.
À court terme, cette précision est déterminante pour le niveau de complexité des calculs que les ordinateurs pourront effectuer. D’autre part, ce n’est qu’à ces faibles taux d’erreurs que les techniques de correction d’erreurs peuvent fonctionner correctement. Cela permet d’effectuer des calculs précis, même avec un matériel imparfait.
Des études ont montré que les qubits reposant sur les spins du diamant sont prometteurs pour le développement de portes quantiques à haute précision. La technique consiste à exploiter les spins électroniques et nucléaires associés aux défauts atomiques du réseau cristallin du diamant. Ces défauts se manifestent par exemple lorsqu’un atome d’azote est situé à la place d’un atome de carbone. Ils peuvent maintenir des états quantiques pendant des périodes relativement longues en étant bien protégés du bruit environnemental, ce qui les rend idéaux pour le développement de portes quantiques à haute performance.
D’autre part, les qubits à spin de diamant peuvent fonctionner à des températures relativement élevées, notamment jusqu’à 10 kelvins, soit 100 fois supérieures à celle à laquelle les qubits supraconducteurs fonctionnent. Ils interagissent en outre naturellement avec les photons, les rendant ainsi idéaux pour le développement de réseaux quantiques. Cependant, le développement d’un ensemble de portes quantiques avec des taux d’erreur suffisamment faibles à l’aide des spins du diamant constitue un défi de taille.
Afin de surmonter ces défis, les chercheurs de Fujitsu et de QuTech ont développé une technique permettant de contrôler avec un niveau de précision record les portes quantiques à base de qubits de spin de diamant. L’étude, réalisée en collaboration avec l’Université de technologie de Delft (aux Pays-Bas), démontre la première porte logique à atteindre un taux d’erreur inférieur à 0,1 %. Les résultats sont détaillés dans Physical Review Journals.
Un taux d’erreur moyen inférieur à 0,1 %
Pour développer leur processeur quantique, les chercheurs de la nouvelle étude ont sélectionné des diamants extrêmement purs présentant une très faible concentration en isotopes de carbone 13, ceux-ci étant la principale source de décohérence quantique. Cela a permis d’éliminer les bruits environnementaux et de créer un système stable à deux qubits : l’un formé à partir du spin électronique de la région défectueuse du diamant et l’autre par son spin nucléaire.
La seconde étape consistait à concevoir des portes de découplage pour atténuer les effets des bruits environnementaux résiduels. Les portes de découplage sont des séquences d’impulsion contrôlées conçues pour supprimer l’impact du bruit environnemental sur les qubits et étendre leur capacité à conserver les informations quantiques.
La prochaine étape consistait ensuite à développer une technique permettant de les caractériser de manière fiable et d’en optimiser les paramètres. Pour ce faire, l’équipe a utilisé une technique appelée « tomographie par ensembles de portes », permettant d’obtenir un aperçu complet des paramètres des portes. Cela a permis d’obtenir des informations sur les éventuelles sources d’erreurs et d’optimiser les paramètres en conséquence, y compris la force d’impulsion des portes.
« Il était essentiel que notre caractérisation fournisse des informations complètes et précises sur les erreurs de porte, car cela nous a permis de détecter systématiquement les imperfections et d’optimiser tous les paramètres de porte », explique Jiwon Yun, co-auteur principal de l’étude, dans un communiqué de QuTech.
Pour tester leur dispositif, les chercheurs ont exécuté un algorithme avec une longue séquence de portes. Après 800 opérations, le résultat a pu être prédit avec précision grâce à l’analyse détaillée de chaque porte. Chaque porte à deux qubits a fonctionné avec un taux d’erreur inférieur à 0,1 %, certaines atteignant même un taux d’erreur aussi bas que 0,001 %.
Toutefois, bien que les portes quantiques à haute précision soient essentielles au calcul quantique, beaucoup de travail sera encore nécessaire avant d’atteindre une puissance de calcul à grande échelle. « L’un des principaux défis consiste à maintenir et à améliorer la qualité des portes lors du passage à l’optique et à l’électronique intégrées à l’échelle de la puce, et à l’extension à un nombre beaucoup plus important de qubits », explique Tim Taminiau de QuTech et de l’Université de Delft, qui a dirigé l’étude.
La collaboration entre QuTech et Fujitsu se concentre d’ailleurs non seulement sur le développement de qubits améliorés, mais également sur l’infrastructure électronique requise pour leur contrôle et leur précision. « La prochaine étape majeure nécessitera la collaboration entre scientifiques, ingénieurs et industriels », conclut Taminiau.