Des orques ont pour la première fois été observées en train de chasser avec des dauphins à flancs blancs du Pacifique au large de la Colombie-Britannique, au Canada. Les orques suivaient les bandes de dauphins, qui semblaient servir d’éclaireurs pour localiser les saumons selon les chercheurs. Ils semblaient ensuite se partager les proies, les orques se chargeant de les déchiqueter et les dauphins consommant les petits morceaux restants.
Les orques résidentes du Nord (Orcinus orca), un écotype d’orques appartenant à une lignée maternelle spécialisée et vivant le long de la côte de la Colombie-Britannique, sont très sociales et se nourrissent presque exclusivement de grands saumons quinnat (Oncorhynchus tshawytscha – aussi appelés saumons chinook) adultes.
Les dauphins à flancs blancs du Pacifique (Lagenorhynchus obliquidens) sont en revanche des opportunistes avec un régime alimentaire varié incluant généralement du hareng, des calmars et des saumons de petite taille. De récentes observations semblent cependant indiquer que les deux espèces se côtoient souvent, les orques se mettant parfois à suivre des groupes de dauphins.
« Ces baleines sont des spécialistes de la chasse au saumon. Ce sont des prédateurs très spécialisés et très habiles. Les voir suivre des dauphins comme s’ils étaient leurs chefs était vraiment contre-intuitif – et vraiment passionnant », a déclaré Sarah Fortune, professeure adjointe au département d’océanographie de l’Université canadienne Dalhousie, au Guardian.
Une théorie avance qu’il s’agit d’un kleptoparasitisme selon lequel les dauphins à flancs blancs du Pacifique voleraient les proies des orques. Les saumons quinnat sont cependant trop gros (atteignant parfois un mètre de long) pour ces dauphins et ils ne les chassent généralement pas. Une autre hypothèse est que les dauphins recherchent une protection contre les orques de Bigg, un autre groupe d’orques partageant les mêmes eaux que les orques résidentes du Nord et qui peuvent s’attaquer aux dauphins. Les deux écotypes d’orques s’évitent cependant généralement.
L’hypothèse de la chasse collaborative a également été avancée mais n’a jusqu’à présent pas été étayée directement. Dans une étude publiée le 11 décembre dans la revue Scientific Reports, Fortune et ses collègues (de l’Université de Colombie-Britannique, de l’Institut Hakai et de l’Institut Leibniz de recherche sur les zoos et la faune sauvage) affirment avoir rapporté le premier enregistrement documenté d’une collaboration de chasse entre orques et dauphins.
« Nous savons depuis longtemps que les orques résidentes du Nord interagissent avec les dauphins à flancs blancs du Pacifique, mais les voir plonger et chasser en synchronisation avec les dauphins change complètement notre compréhension de ce que signifient ces rencontres », a déclaré Fortune dans un communiqué de l’Université de Colombie-Britannique. « Nos images montrent que les orques et les dauphins coopèrent peut-être pour trouver et partager des proies, un phénomène jamais observé auparavant au sein de cette population », a-t-elle ajouté.
L’écholocation partagée, clé d’une coordination inédite
Pour étudier les comportements de chasse des orques et des dauphins à flancs blancs du Pacifique, les chercheurs ont effectué des observations dans les eaux du nord de l’île de Vancouver en août 2020. Ils ont marqué les orques en utilisant de longues perches en fibre de carbone pour fixer temporairement des caméras ventouse personnalisées. Seuls les individus en bonne santé et qui n’étaient ni enceintes ni allaitantes étaient marqués.
Les caméras enregistraient des données vidéo et sonores en haute résolution et offraient un aperçu en temps réel des interactions entre les groupes jusqu’à plus de 30 mètres de profondeur. La proximité des orques avec les dauphins permettait aux balises de capturer les vocalisations des deux espèces. L’équipe a également utilisé des drones pour capturer des images aériennes des interactions près de la surface.

Les observations ont montré que les deux espèces chassaient fréquemment les unes à proximité des autres et semblaient synchroniser leurs mouvements. Les orques semblaient s’orienter en suivant les groupes de dauphins vers les profondeurs. D’après les chercheurs, les orques s’appuyaient probablement sur l’écholocation des dauphins pour repérer les saumons quinnat.
« On observait souvent cette alternance : notre baleine marquée émettait des signaux d’écholocation, puis il y avait une période de silence, et ensuite on entendait les clics d’écholocation des dauphins », a expliqué Fortune au Guardian. D’après l’experte, cette écholocation simultanée pourrait servir à élargir le champ de vision acoustique des deux groupes.



Puis, une fois que les orques ont capturé les saumons et les ont déchiquetés en petits morceaux pour les partager avec les autres membres de leur groupe, les dauphins s’empressaient de récupérer les restes. Selon les chercheurs, cette stratégie pourrait permettre aux orques d’économiser de l’énergie en s’appuyant sur les dauphins pour débusquer leurs proies, et en retour les dauphins bénéficient d’une protection contre les prédateurs tout en ayant accès aux restes de nourriture.
D’autre part, les orques, souvent connues pour être agressives envers d’autres espèces ou d’autres groupes d’orques, ne montraient aucun signe d’agressivité ou d’évitement envers les dauphins. Des travaux supplémentaires seront toutefois nécessaires pour déterminer exactement dans quelle mesure les deux espèces tirent avantage de cette coopération ainsi que la constance du comportement, précisent les chercheurs. Néanmoins, ces résultats soulignent l’importance écologique des collaborations interespèces, ainsi que leur rôle potentiel dans la structuration des réseaux trophiques marins.


