Des paléontologues découvrent le plus ancien site funéraire, établi par une autre espèce

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| L. Berger et al.
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Le paléoanthropologue américain Lee Berger et son équipe ont mis au jour ce qui pourrait être l’un des plus anciens sites de sépultures dans les grottes de Rising Star, un système karstique situé près de Johannesburg. Le site comportait les restes de plusieurs spécimens d’Homo naledi, une ancienne espèce d’hominines découverte en 2013 par Berger lui-même. Cette découverte révèle une nouvelle facette de l’évolution humaine : on pensait jusqu’alors que l’enterrement délibéré des morts était une pratique réservée aux hominines dotés d’un cerveau plus gros.

La plus ancienne sépulture d’Homo sapiens connue en Afrique, découverte en 2017, se trouve dans la grotte de Panga ya Saidi, au Kenya, et date de 78 000 ans environ ; il s’agissait du corps d’un enfant, intentionnellement enterré dans une fosse creusée dans la terre. Les hommes modernes du Pléistocène supérieur et les Néandertaliens avaient des pratiques mortuaires variées, y compris les enterrements. Il est communément admis que l’exécution de ces tâches complexes et significatives nécessite des capacités cognitives avancées, donc un cerveau relativement gros.

Celui d’H. naledi ne fait que 500 cm3 environ. Pourtant, il semblerait qu’il ait lui aussi enterré ses morts. « Il s’agit des inhumations les plus anciennes jamais enregistrées chez les hominidés, antérieures d’au moins 100 000 ans aux inhumations d’Homo sapiens », écrivent les chercheurs dans un article de pré-impression qui doit être évalué par les pairs. Le site comportait les restes d’au moins cinq individus, adultes et enfants (dont l’âge est estimé à moins de 13 ans), déposés à environ 30 mètres sous terre en position fœtale — ce qui suggère un enterrement intentionnel des morts.

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Les premières preuves de pratiques funéraires non humaines

Il n’est pas toujours aisé pour les paléontologues de prouver une inhumation volontaire. Plusieurs experts restent d’ailleurs sceptiques quant à la capacité d’un hominine à petit cerveau de se livrer à une telle activité de « création de sens », suggérant que leurs dépouilles ont plutôt été emportées dans les grottes par des prédateurs ou par une inondation.

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Les sépultures découvertes dans la chambre de Dinaledi. (A) Modèle de photogrammétrie du sol de la chambre de Dinaledi et des zones de fouilles. (B) Photographie de la zone de fouilles comprenant les éléments 1 et 2. (C) Reconstruction 3D de la zone de fouille comprenant à la fois le matériel squelettique excavé et le matériel non excavé en position spatiale. (D) Reconstruction 3D de l’élément 1 à partir de la photogrammétrie. © L. Berger et al.

Mais plusieurs indices suggèrent que diverses pratiques mortuaires ont pu être mises en œuvre par H. naledi dans ce réseau de grottes. La position et l’état des restes squelettiques suggèrent que les défunts ont été soigneusement disposés sur le sol (et non jetés) ; leurs os sont exempts de marques de prédation et l’analyse des sédiments de la grotte exclut le dépôt d’eau. L’équipe n’a par ailleurs trouvé aucun signe d’un éventuel passage d’humains modernes, qui auraient pu transporter les corps au fond de la grotte.

En revanche, ils ont découvert des marques gravées sur les parois de la grotte, à proximité des corps, que H. naledi a sans doute utilisées pour donner du sens à ses actes. « Cela signifierait que non seulement les humains ne sont pas les seuls à avoir développé des pratiques symboliques, mais qu’ils n’ont peut-être même pas inventé de tels comportements », souligne Lee Berger dans un communiqué.

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Image de la gravure observée sur les parois de la grotte, ressemblant à un « hashtag ». Les lignes ondulées au bas de l’image correspondent à un stromatolite d’algue fossile trouvé dans la roche dolomitique native. © Mathabela Tsikoane/Lee Berger/National Geographic Society

Ces symboles ont été découverts sur des surfaces qui semblent avoir été préparées et lissées spécialement pour cet usage. Ils comprennent des hachures profondes et d’autres formes géométriques, gravées à l’aide d’un outil pointu. Des marques similaires ont été attestées chez les Néandertaliens (Homo neanderthalensis) il y a au moins 60 000 ans et chez les premiers Homo sapiens d’Afrique du Sud et d’Israël il y a plus de 100 000 ans.

Bien que leur signification reste mystérieuse, ces marques intentionnelles sont généralement considérées comme l’une des premières méthodes d’enregistrement et de transmission de sens. Elles témoignent par ailleurs d’une étape cognitive majeure dans l’évolution humaine. Les marques découvertes dans les grottes de Rising Star pourraient dater de 241 000 à 335 000 ans, selon les experts ; elles feront l’objet de tests supplémentaires.

Une remise en question de la définition de l’être humain

En résumé, ces découvertes pourraient constituer l’un des premiers exemples de pratiques mortuaires et d’élaboration de significations par un hominine à petit cerveau. Si elles sont confirmées, cela remettrait en question tout un ensemble d’hypothèses sur les hominines et notre compréhension de l’évolution humaine — y compris la définition même du terme « humain ».

« Une grande partie de ce que nous supposions être typiquement humain, et typiquement permis par un gros cerveau, n’est peut-être pas l’une ou l’autre de ces choses. L’enterrement, la création de sens et même l' »art » pourraient avoir une histoire beaucoup plus compliquée, dynamique et non humaine que nous ne le pensions jusqu’à présent », explique Agustín Fuentes, anthropologue de l’Université de Princeton, spécialisé en biosocial (l’enchevêtrement des systèmes biologiques avec la vie sociale et culturelle des humains et de leurs ancêtres), qui a participé aux recherches.

Depuis la découverte des premiers ossements d’H. naledi par Berger et son équipe en 2013, le réseau de grottes de Rising Star est l’un des sites les plus fructueux au monde pour la recherche de fossiles d’hominines. Déjà à l’époque, le paléontologue avait avancé l’hypothèse que H. naledi était capable de bien plus que ce que son petit cerveau suggérait — ce qui lui a valu plusieurs critiques d’autres scientifiques, lui reprochant son manque de rigueur.

Berger continue néanmoins à explorer le site et à découvrir de nouveaux indices sur le mode de vie d’H. naledi. Cette nouvelle découverte vient soutenir l’hypothèse que cette espèce était capable de comportements émotionnels et cognitifs complexes. « Avec chaque nouvelle découverte, Lee modifie notre compréhension de l’évolution humaine », a déclaré Jill Tiefenthaler, PDG de la National Geographic Society.

Source : L. Berger et al., bioRxiv

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