L’implication du microbiote intestinal dans le développement de la maladie de Parkinson est une hypothèse qui ne cesse de se solidifier. Une étude récente jette une lumière nouvelle sur ce lien en identifiant une souche bactérienne spécifique du microbiote intestinal qui jouerait un rôle majeur dans l’accumulation des protéines α-synucléine, une caractéristique fondamentale de cette pathologie.
La maladie de Parkinson se caractérise principalement par une accumulation neuronale des corps de Lewy, des amas de protéines α-synucléine. C’est ce processus d’agrégation qui entraîne une dégradation progressive des neurones dopaminergiques, responsables de la régulation motrice. Normalement présente dans le cerveau, cette protéine adopte une structure anormale et devient toxique chez les personnes atteintes de la maladie, perturbant ainsi la connexion entre les neurones.
On observe une agrégation similaire de protéines dans d’autres maladies neurologiques, dites synucléinopathies. De ce fait, la présence des corps de Lewy n’est pas spécifique à la maladie de Parkinson. Certains chercheurs ont donc émis l’hypothèse que l’accumulation d’α-synucléine n’est peut-être pas le facteur principal. De surcroît, les mécanismes physiologiques responsables de cette accumulation et qui déclenchent la dégénérescence neuronale restent largement inexplorés. Par ailleurs, selon des recherches antérieures, la maladie de Parkinson est majoritairement sporadique, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’épidémiologie spécifique et se manifeste de manière aléatoire parmi les individus.
Les chercheurs estiment que plusieurs facteurs, tels que l’âge, la génétique et l’environnement, sont probablement les principaux facteurs déclencheurs de la maladie. Toutefois, la transmission héréditaire n’est observée que dans 15% des cas, et un gène spécifique n’est impliqué que dans 5% des cas. Les scientifiques s’accordent donc à dire que les facteurs environnementaux sont plus susceptibles d’influencer l’apparition et l’évolution de la maladie. Dans cette optique, des études récentes ont mis en lumière plusieurs facteurs potentiels, comme les polluants chimiques et certains virus et bactéries.
« Nos découvertes sont importantes, car la cause de la maladie de Parkinson est restée inconnue malgré les tentatives faites pour l’identifier au cours des deux derniers siècles », souligne Per Erik Saris, coauteur principal de cette recherche récente et professeur au département de microbiologie de l’Université d’Helsinki, en Finlande.
La présente étude, publiée dans la revue Frontiers, qui fait écho à une recherche précédente, semble confirmer l’origine environnementale de la maladie. Selon les résultats, l’exposition à Desulfovibrio, une souche bactérienne pro-inflammatoire présente dans notre microbiote intestinal, dans la boue et dans les sédiments marins, pourrait être un facteur déclenchant de la maladie. Cette souche bactérienne, qui réside naturellement dans notre tractus gastro-intestinal, se développe de manière anormalement élevée chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. « La maladie est principalement causée par des facteurs environnementaux, c’est-à-dire l’exposition environnementale aux souches bactériennes Desulfovibrio qui causent la maladie de Parkinson », déclare Saris.
Une accumulation de protéines toxiques induites par la bactérie
Bien que des études antérieures aient suggéré l’implication du microbiote intestinal dans la maladie de Parkinson, peu d’entre elles sont parvenues à identifier une souche microbienne spécifique. C’est dans ce contexte que les chercheurs de l’Université d’Helsinki ont pu identifier leur souche spécifique en analysant des échantillons fécaux provenant de patients atteints de la maladie et d’un groupe témoin composé d’individus en bonne santé.
Suite à la quantification des différentes souches microbiennes, ils ont constaté que les patients atteints de la maladie présentaient des niveaux beaucoup plus élevés de Desulfovibrio que les individus sains. Ces concentrations élevées étaient corrélées à la sévérité de la maladie chez les personnes atteintes de Parkinson.
D’après les chercheurs, les métabolites (sulfure d’hydrogène, lipopolysaccharide, magnétite) produits par ces bactéries pourraient induire les changements de structure de la protéine α-synucléine observés chez les patients. Ces protéines, devenues toxiques, migreraient vers le cerveau par le biais du nerf vague, à l’instar des protéines prions. Ce processus de migration est d’ailleurs facilité par le fait que les Desulfovibrio sont connus pour endommager les tissus épithéliaux.
Pour confirmer la corrélation avec la maladie de Parkinson, les chercheurs ont isolé des souches de Desulfovibrio provenant de personnes saines et malades, puis les ont utilisées pour nourrir des modèles de nématodes Caenorhabditis elegans génétiquement modifiés (pour exprimer la protéine α-synucléine humaine). Un autre groupe de nématodes a été exposé à une souche bactérienne de contrôle (Escherichia coli).
En étudiant le cerveau de ces vers, les chercheurs ont constaté que ceux ayant été exposés aux souches de Desulfovibrio présentaient une quantité nettement plus importante d’amas toxiques d’α-synucléine. Ces agrégats ne différaient pas seulement en quantité, mais aussi en taille. De façon surprenante, les nématodes exposés aux Desulfovibrio provenant de patients atteints de Parkinson présentaient plus d’agrégations protéiques que ceux nourris avec les Desulfovibrio collectés chez les personnes saines. En outre, le taux de survie des vers exposés aux Desulfovibrio était significativement réduit.
Après élimination des Desulfovibrio du microbiote intestinal, une diminution de l’agrégation d’α-synucléine a été observée. Ces découvertes pourraient éventuellement contribuer au diagnostic précoce de la maladie de Parkinson. Cette souche spécifique pourrait également constituer une cible thérapeutique prometteuse pour lutter efficacement contre la maladie. Cependant, il convient de garder à l’esprit que l’élimination de cette souche pourrait perturber l’équilibre du microbiote intestinal et provoquer des effets secondaires inattendus. Néanmoins, « elle peut être ciblée pour atténuer et ralentir potentiellement les symptômes des patients atteints de la maladie de Parkinson », propose Saris.