Alors qu’on se situe actuellement dans une période charnière où de nombreux emplois sont menacés par l’IA, même les PDG n’en sont pas à l’abri, selon un groupe d’experts. La grande majorité de leurs tâches pourraient notamment être automatisées, sans compter que leur salaire élevé constitue une incitation supplémentaire à les remplacer. Cette transition potentielle, si elle devient tangible, pourrait potentiellement bouleverser la conception du leadership moderne.
L’année 2022 a marqué une étape majeure vers l’intégration de l’IA dans le monde du travail, notamment lorsque l’entreprise chinoise NetDragon Websoft a affecté son robot « Madame Tang Yu » au poste de PDG. Le robot humanoïde virtuel alimenté par l’IA est chargé d’aider à la prise de décision pour les opérations quotidiennes de l’entreprise. Suite à cette nomination, les actions de la société ont grimpé en flèche, la faisant atteindre une valeur supérieure à 1 milliard de dollars.
L’année d’après, Dictador, une entreprise polonaise spécialisée dans le rhum a, elle aussi, nommé « Mika », un robot humanoïde alimenté par l’IA, au poste de PDG. Il est conçu pour diriger les projets critiques et stimuler la croissance de la société.
Des experts, interviewés par le New York Times, estiment que ces décisions pourraient bientôt franchir le stade de simples expériences isolées et pourraient être appliquées de manière plus généralisée. Cette transition se serait notamment fait sentir depuis la crise COVID, lorsque de plus en plus entreprises ont commencé à adopter une structure hiérarchique faisant place à plus d’autonomie, parfois exempte de sous-dirigeants et de cadres.
« Certaines personnes aiment les aspects sociaux d’avoir un patron humain », explique Phoebe V. Moore, professeure de gestion et d’avenir du travail à la Business School de l’Université d’Essex. « Mais après la période Covid, beaucoup acceptent également de ne pas en avoir », déclare-t-elle.
Des prises de décision impartiales et efficaces
Depuis l’avènement de ChatGPT en novembre 2022, l’IA est présentée comme étant l’un des outils de prédilection pour relever les entreprises en difficulté ou pour stimuler leur croissance. Sa capacité à traiter de grandes quantités de données en un temps record et à générer de manière ordonnée et contrôlée des informations, en fait notamment un atout majeur pour la prise de décisions stratégiques — un aspect essentiel du rôle d’un PDG.
En effet, les dirigeants d’entreprises et les cadres supérieurs ont généralement pour rôle d’analyser de nouveaux marchés, ainsi que leurs tendances. D’après les experts, 80 % de ces tâches pourraient être automatisées. Certains dirigeants admettent eux-mêmes être désormais des éléments superflus au sein des entreprises. D’après un rapport d’AND Digital, près de 43 % des PDG interrogés estiment que la majorité voire la totalité de leurs tâches devrait aujourd’hui être automatisée par l’IA.
Un autre aspect essentiel est aussi la prise de décisions importantes et difficiles inhérentes aux fonctions d’un PDG. L’IA peut prendre des décisions logiques et en toute impartialité, de sorte à prioriser le bon fonctionnement et la croissance de l’entreprise. D’un autre côté, pour les entreprises en difficulté, la direction opérationnelle est habituellement la première à subir un remaniement. Selon Saul J. Berman, ancien associé consultant senior chez IBM, « le changement apporté par l’IA dans les entreprises sera aussi important, voire plus important, aux niveaux stratégiques supérieurs de gestion qu’aux échelons inférieurs ».
Par ailleurs, il est important de noter que les capitaux consacrés aux cadres et aux dirigeants d’entreprises pourraient accélérer davantage la transition vers l’automatisation de leurs tâches, permettant ainsi d’importantes économies. Paradoxalement, alors que l’on croyait que les travaux manuels seraient les premiers à être massivement automatisés d’ici 2030, les postes aux salaires les plus élevés, y compris PDG, seront les plus affectés par l’IA, comme nous l’avons précédemment rapporté dans un article d’investigation.
Des limites en matière de leadership
Toutefois, il est important de considérer que bien que la majorité des tâches d’un PDG peut être assurée par l’IA, une entreprise a tout de même besoin de dirigeants possédant une capacité de leadership que la technologie ne possède pas à son niveau actuel. « Même si vous n’avez peut-être pas besoin du même nombre de dirigeants, vous aurez quand même besoin de leadership », a précisé au New York Times Vinay Menon, consultant au cabinet de conseil Korn Ferry.
Cette capacité de leadership comprend surtout des compétences sociales telles que la pensée critique, la vision à long terme, la créativité et la capacité à inspirer et à être à l’écoute des autres. Une récente analyse parue dans le Harvard Business Review révèle d’ailleurs que les compétences sociales figurent parmi les plus recherchées pour les candidats aux postes de direction. Malgré les avancées en matière d’IA, elles ne sont pas encore capables de montrer l’intelligence émotionnelle et l’empathie nécessaires à un leadership efficace.
En outre, son intégration dans le secteur de l’emploi se heurte à d’importants défis éthiques et réglementaires. Son adoption à des postes de décideurs sera inévitablement confrontée à de la résistance, non seulement en raison des compétences humaines qui lui font pour le moment défaut, mais également en raison de la crainte toujours croissante de la perte massive d’emplois.