Une enquête incluant près de 26 000 personnes révèle que celles qui ont l’habitude de veiller tard obtiennent de meilleurs résultats aux tests d’intelligence, de raisonnement et de mémoire, que celles qui se couchent tôt. Cependant, la durée de sommeil a tout de même un impact direct sur les fonctions cérébrales. Ces résultats soulignent ainsi l’importance d’une gestion proactive des habitudes de sommeil pour des performances cérébrales optimales.
Alors que certaines personnes ont tendance à se sentir plus alertes en se levant tôt le matin, d’autres sont plus à l’aise en veillant tard. Cela est dû au fait que l’horloge biologique influence un grand nombre de fonctions biologiques, notamment les cycles de sommeil, d’activité, d’alimentation, la température corporelle, la sécrétion hormonale, etc.
Les préférences individuelles pour le moment du sommeil sont appelées « chronotypes ». Les « lève-tôt » ont un chronotype matinal tandis que les « couche-tard » ont un chronotype du soir (ou tardif). Ceux qui n’ont pas de préférence marquée ont un chronotype intermédiaire. Alors que les chronotypes sont principalement hérités génétiquement, de nombreux facteurs environnementaux peuvent les influencer. Cela inclut par exemple les variations saisonnières de la durée du jour, les horaires de travail, le nombre d’enfants à élever, etc. Toutefois, malgré ces variations environnementales, les chronotypes matinaux ont tendance à prédominer au sein de la population générale.
Des études ont suggéré que les chronotypes du soir sont plus susceptibles de provoquer des risques sur la santé, car la capacité à effectuer des activités pendant les heures de travail normales (pendant la journée) est altérée. En raison d’un décalage entre l’horloge interne et l’horloge sociale (des attentes graduées par âge pour les événements de la vie, tels que la scolarité et l’entrée dans la vie active), il est plus difficile pour les individus avec ces chronotypes de disposer des 7 à 9 heures de sommeil recommandées pour des fonctions physiologiques optimales. Contrairement aux personnes avec un chronotype matinal, ils seraient plus susceptibles de présenter des signes précoces de troubles neuronaux ainsi que de maladies cardiovasculaires et neurologiques.
Une précédente enquête a par exemple montré que les chronotypes du soir sont associés à une plus faible capacité à travailler et à des pensions d’invalidité à la cinquantaine. Cela suggère que les habitudes de sommeil impactent les capacités cognitives. Cependant, la nouvelle étude de l’Imperial College de Londres semble suggérer le contraire, du moins en partie, en montrant notamment que les personnes couche-tard obtiennent de meilleurs résultats aux tests cognitifs.
« Notre étude a révélé que les adultes qui sont naturellement plus actifs le soir ont tendance à avoir de meilleurs résultats aux tests cognitifs que ceux qui sont matinaux », explique dans un communiqué de l’Imperial College de Londres Raha West, auteure principale de l’étude, décrite dans la revue BMJ Public Health. « Plutôt que de simples préférences personnelles, ces chronotypes pourraient avoir un impact sur nos fonctions cognitives », ajoute-t-elle.
Des résultats cognitifs 7,5 à 13,5 % supérieurs
Pour effectuer leur enquête, les chercheurs ont utilisé les données d’environ 26 000 adultes britanniques inscrits dans l’UK Biobank. Ces personnes ont passé des séries de tests cognitifs pour déterminer leurs chronotypes respectifs et de quelle manière ces derniers affectent leurs performances cérébrales. Les analyses ont été ajustées en fonction de divers facteurs de variabilité, tels que l’âge, le sexe, la consommation ou non de tabac et d’alcool, ainsi que la présence éventuelle de maladies chroniques sous-jacentes (telles que les maladies cardiaques et le diabète).
Les analyses ont montré que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les adultes ayant l’habitude de veiller tard ont obtenu de meilleurs scores pour les tests d’intelligence, de raisonnement et de mémoire. En effet, leurs scores étaient entre 7,5 et 13,5 % supérieurs à ceux des personnes qui ont l’habitude de se lever tôt le matin. Ils étaient également entre 6,3 et 10,6 % plus élevés que ceux des adultes à chronotype intermédiaire. Selon les chercheurs, ces différences significatives excluent le hasard.
D’autre part, les individus plus jeunes et ne souffrant pas de maladies chroniques sous-jacentes ont également obtenu de meilleurs résultats aux tests cognitifs. Un mode de vie sain était aussi associé à de meilleures performances cérébrales.
Il est toutefois important de noter que cela ne signifie pas nécessairement que toutes les personnes matinales ont de moins bonnes performances cognitives, ont précisé les chercheurs. Et bien qu’il soit possible de modifier ses habitudes de sommeil naturelles en ajustant progressivement l’heure du coucher (en augmentant par exemple l’exposition à la lumière le soir), une transition radicale d’un chronotype matinal vers un chronotype du soir est très difficile.
D’un autre côté, les analyses ont aussi montré que les personnes dormant entre 7 et 9 heures par nuit avaient une meilleure capacité de raisonnement, de mémorisation et une vitesse de traitement de l’information plus élevée. « S’il est essentiel de comprendre et de gérer vos tendances naturelles en matière de sommeil, il est tout aussi important de vous rappeler de dormir suffisamment, ni trop longtemps ni trop peu », indique Raha.
Cependant, bien que les experts aient constaté que la durée du sommeil est essentielle, aucune différence marquée dans les résultats cognitifs n’a été observée chez les personnes souffrant d’insomnie. Cela indiquerait que des aspects spécifiques à l’insomnie, tels que sa gravité et sa durée, doivent être pris en compte dans les analyses.
À noter également que l’étude présente certaines limites. Elle n’a par exemple pas considéré le niveau d’éducation ni l’heure à laquelle les tests cognitifs ont été effectués, ce qui pourrait introduire des biais dans les résultats. En outre, sans imagerie détaillée du cerveau, il est impossible de savoir comment les chronotypes affectent la mémoire et la réflexion, ou si un déclin cognitif potentiel entraîne des changements dans les habitudes de sommeil. « La principale valeur de l’étude était de remettre en question les stéréotypes autour du sommeil », conclut Jessica Chelekis, experte du sommeil à l’Université Brunel de Londres.