Située à plus d’un kilomètre de profondeur dans le laboratoire national du Gran Sasso, l’expérience XENON1T s’emploie à chercher des signatures de la matière noire. Cependant, la sensibilité et la précision du détecteur l’amènent également parfois à détecter d’autres événements extrêmement rares. En effet, les physiciens dirigeant l’expérience ont récemment détecté un phénomène qui échappait aux chercheurs depuis de nombreuses années : la désintégration du xénon-124, et plus précisément une double capture d’électrons à deux neutrinos. La particularité de cette désintégration ? Elle se déroule sur plus de 1036 années. Des résultats qui pourraient en apprendre plus aux physiciens sur le comportement des neutrinos.
Dans un article publié dans la revue Nature, des chercheurs de la collaboration XENON ont déclaré qu’ils avaient observé la désintégration radioactive d’une substance appelée xénon-124, un isotope de l’élément xénon — un gaz noble incolore et inodore trouvé en infimes quantités dans l’atmosphère. L’événement — une « double capture d’électrons à deux neutrinos » — échappe aux physiciens depuis des décennies.
Désintégration du xénon-124 : un processus extrêmement rare à observer
Cela se produit lorsque deux protons d’un noyau sont simultanément convertis en neutrons par l’absorption de deux électrons d’une des couches atomiques et l’émission de deux neutrinos électroniques. Une fois que cela se produit, l’événement émet une cascade prévisible de rayons X et d’électrons Auger, que les scientifiques recherchent à l’aide d’un détecteur ultra-sensible, enterré à environ 1500 mètres sous la montagne italienne du Gran Sasso, où il est protégé des rayons cosmiques.
« Nous avons montré que nous pouvons observer les événements les plus rares jamais enregistrés. La principale conclusion est qu’il a été démontré qu’un isotope autrefois considéré comme complètement stable se désintègre à une échelle de temps incroyablement longue », déclare Ethan Brown, professeur de physique à l’Institut polytechnique de Rensselaer.
L’équipe a ainsi estimé que la demi-vie du xénon-124 est d’environ 18 sextillions d’années — ou 18’0000’000’000’000’000’000’000 d’années — ce qui équivaut à mille milliards de fois l’âge de notre univers, selon l’équipe. C’est le processus le plus lent jamais mesuré directement.
« Nous avons conçu l’expérience XENON1T pour rechercher la matière noire. Cette expérience est si sensible à des événements très rares que nous pouvons effectuer toutes sortes d’autres mesures physiques rares. L’une d’elles est la désintégration du xénon-124. Bien que notre objectif principal ait toujours été la découverte de la matière noire, nous savions qu’il y avait de fortes chances que nous puissions voir cette rare décomposition, alors nous avons décidé de le faire », révèle Brown.
Vers une meilleure compréhension de la dynamique des neutrinos
Pour avoir cette chance, l’équipe a dû exposer son détecteur à une énorme quantité d’atomes de xénon ; environ 3.2 tonnes de xénon liquide. XENON1T est une cuve géante de xénon liquide entourée de capteurs de lumière. Lorsque la matière noire entre en collision avec le xénon, ou lorsqu’une désintégration radioactive se produit à l’intérieur, un minuscule flash de lumière et une petite quantité de charge du xénon sont obtenus. Les chercheurs les mesurent avec les capteurs de lumière et reconstruisent tout ce qu’ils peuvent sur l’événement qui a causé la lumière et la charge.
Bien que l’équipe n’ait pas observé de matière noire — qui est l’objectif principal du détecteur —, les observations récentes pourraient aider les physiciens à en apprendre davantage sur les neutrinos, l’une des particules fondamentales les moins comprises de l’univers. « Cela prouve que cette technologie de détection au XENON que nous utilisons pour la matière noire est beaucoup plus polyvalente », conclut Christian Wittweg.