L’intrication quantique est certainement l’un des phénomènes les plus mystérieux de la mécanique quantique. Deux particules intriquées deviennent un système unique sans limites de distance ni de temps. Au cours des dernières années, les physiciens sont parvenus à intriquer des systèmes de particules toujours plus nombreux et distants. Et récemment, des chercheurs ont réussi à intriquer 15 milliards de milliards d’atomes simultanément. La prouesse réside notamment dans l’utilisation d’un environnement chaotique à haute température, et pourrait permettre l’élaboration de capteurs ultra-sensibles servant dans la détection des champs magnétiques ou encore des ondes gravitationnelles.
Les états intriqués sont extrêmement fragiles ; leurs liens quantiques peuvent être facilement rompus par la moindre vibration interne ou interférence du monde extérieur. Pour cette raison, les physiciens tentent d’atteindre les températures les plus froides possibles lors d’expériences pour intriquer les atomes. Plus la température est basse, moins les atomes sont susceptibles de rebondir les uns dans les autres et de rompre leur cohérence.
Dans cette nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications, des chercheurs de l’Institut des sciences photoniques (ICFO) de Barcelone, en Espagne, ont adopté l’approche inverse, chauffant des atomes des millions de fois plus qu’une expérience quantique typique, pour voir si l’intrication pouvait persister dans un environnement chaud et chaotique.
L’importance du spin dans la mesure des systèmes quantiques
Les chercheurs ont chauffé un petit tube en verre rempli de rubidium vaporisé et d’azote gazeux inerte à 177 °C. À cette température, le nuage chaud d’atomes de rubidium est dans un état de chaos, avec des milliers de collisions atomiques ayant lieu chaque seconde. Comme les boules de billard, les atomes rebondissent les uns sur les autres, transférant leur énergie et leur rotation. Mais contrairement au billard classique, cette rotation ne représente pas le mouvement physique des atomes.
En mécanique quantique, le spin est une propriété fondamentale des particules, tout comme la masse ou la charge électrique, qui donne aux particules un moment angulaire intrinsèque. À bien des égards, le spin d’une particule est analogue à une planète en rotation, ayant à la fois un moment angulaire et créant un champ magnétique faible, appelé moment magnétique. Mais dans le monde de la mécanique quantique, les analogies classiques s’effondrent.
L’idée même que des particules comme les protons ou les électrons sont des objets solides en rotation ne correspond pas à la vision quantique du monde. Et lorsque des physiciens essaient de mesurer le spin d’une particule, ils obtiennent l’une de ces deux réponses : vers le haut ou vers le bas. Heureusement, les minuscules champs magnétiques créés par le spin d’une particule permettent aux physiciens de mesurer le spin de plusieurs façons. L’une d’elles concerne la lumière polarisée ou les ondes électromagnétiques qui oscillent dans une seule direction.
Environnement chaotique : il permet la transmission de l’intrication entre les atomes
Les chercheurs ont projeté un faisceau de lumière polarisée sur le tube d’atomes de rubidium. Parce que les spins des atomes agissent comme de minuscules aimants, la polarisation de la lumière tourne lorsqu’elle passe à travers le gaz et interagit avec son champ magnétique. Cette interaction lumière-atome crée une intrication à grande échelle entre les atomes et le gaz. Lorsque les chercheurs mesurent la rotation des ondes lumineuses qui sortent de l’autre côté du tube de verre, ils peuvent déterminer la rotation totale du gaz des atomes, qui transfère par conséquent l’intrication sur les atomes et les laisse dans un état intriqué.
En fait, l’environnement chaud et chaotique à l’intérieur du tube de verre a été la clé du succès de l’expérience. Les atomes étaient dans ce que les physiciens appellent un état singulet de spin macroscopique, une collection de paires de sommes de spin totales des particules intriquées à zéro. Les atomes initialement intriqués transmettent l’intrication les uns aux autres via des collisions, échangeant leurs tours, mais gardant le spin total à zéro et permettant à l’état d’intrication collective de persister pendant au moins une milliseconde. Par exemple, la particule A est intriquée avec la particule B, mais lorsque la particule B frappe la particule C, elle relie les deux particules à la particule C, etc.
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Cela signifie que 1000 fois par seconde, un nouveau lot de 15 milliards de milliards d’atomes est intriqué. Une milliseconde est un temps très long pour les atomes, suffisamment long pour qu’une cinquantaine de collisions aléatoires se produisent. Cela montre clairement que l’intrication n’est pas détruite par ces événements aléatoires.
Vers le développement de capteurs ultra-sensibles
Parce que les physiciens ne sont capables de décrire que l’état collectif des atomes intriqués, l’application de leurs recherches est limitée à des utilisations spéciales. Des technologies comme les ordinateurs quantiques sont probablement hors applications, car l’état des particules intriquées individuellement doit être connu pour stocker et envoyer des informations.
Cependant, leurs résultats pourraient aider à développer des détecteurs de champ magnétique ultra-sensibles, capables de mesurer des champs plus de 10 milliards de fois plus faibles que le champ magnétique terrestre. De tels magnétomètres puissants ont des applications dans de nombreux domaines scientifiques. Par exemple, dans l’étude des neurosciences, la magnétoencéphalographie est utilisée pour prendre des images du cerveau en détectant les signaux magnétiques ultra-faibles émis par l’activité cérébrale.