La lumière interagit « avec son passé » dans le cadre d’une expérience

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Illustration d'une expérience à double fente conventionelle. | Science Photo Library
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En 1801, le physicien Thomas Young démontrait la nature à la fois ondulatoire et particulaire de la lumière grâce à sa célèbre expérience des « fentes de Young ». Aujourd’hui, des chercheurs de l’Imperial College de Londres annoncent avoir revisité cette expérience, en utilisant deux fentes non pas séparées dans l’espace, mais dans le temps, à l’aide d’un matériau capable de modifier ses propriétés optiques en quelques fractions de seconde.

L’expérience originale de Young consiste à diriger un faisceau de lumière sur une plaque opaque percée de deux petites fentes ; celles-ci se comportent alors comme des sources lumineuses secondaires et l’on observe, sur l’écran positionné derrière, une alternance de franges illuminées et sombres — dues aux interférences entre les ondes issues de chacune des fentes, qui s’additionnent ou s’annulent. Depuis, bien d’autres expériences à double fente ont confirmé la dualité onde-corpuscule de la lumière, mais aussi d’autres objets quantiques, tels que les électrons, les neutrons, les atomes et les grosses molécules.

En revanche, la contrepartie temporelle de l’expérience de la double fente de Young restait insaisissable. Le défi a été relevé par une équipe dirigée par des physiciens de l’Imperial College de Londres : ils ont montré qu’un faisceau de lumière deux fois modulé dans le temps produit une interférence dans le spectre des fréquences. « Notre expérience permet d’en savoir plus sur la nature fondamentale de la lumière tout en servant de tremplin à la création de matériaux ultimes capables de contrôler minutieusement la lumière à la fois dans l’espace et dans le temps », a déclaré le professeur Riccardo Sapienza, co-auteur de l’étude décrivant l’expérience.

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De la transparence à la réflectance en quelques femtosecondes

Pour réaliser cette expérience inédite, les chercheurs ont dirigé un faisceau de lumière à travers un matériau capable de changer ses propriétés en quelques femtosecondes (10-15 seconde !), ne laissant passer la lumière qu’à des moments précis, en succession rapide.

Dans la version classique de l’expérience, la lumière émergeant des deux fentes — de même source, donc de même fréquence — se propage sous plusieurs angles ; la lumière parvient sur l’écran via deux chemins et c’est la superposition de ces deux ondes qui crée les figures d’interférence sur l’écran : lorsqu’elles sont en phase, elles s’additionnent (franges claires) et s’annulent en cas de déphasage (franges sombres). Même lorsque l’expérience est réalisée en émettant des photons ou des électrons un par un (avec un détecteur de particules en guise d’écran), la fonction d’onde de la particule dessine progressivement un motif d’interférence.

experience diffraction double fente temporelle
Concept et réalisation de l’expérience de diffraction à double fente temporelle. a-c) Expérience à double fente spatiale conventionnelle. d, e) Expérience à double fente temporelle : lorsque la lumière interagit avec la double modulation temporelle, une ouverture dans le temps A(t) agit sur la fréquence ω du faisceau et redistribue les fréquences. g) Réalisation expérimentale : les faisceaux lasers frappent une plaque d’ITO de 40 nm sur verre, recouverte d’un film d’or de 100 nm. h) Changement temporel de la réflectivité de l’échantillon, avec une séparation de 2,3 ps entre les fentes. © R. Tirole et al.

Dans cette nouvelle expérience, il était question de modifier la propagation de la lumière non plus dans l’espace, mais dans le temps. Pour ce faire, l’équipe a utilisé un film mince d’oxyde d’indium-étain (ITO) — un matériau utilisé comme enrobage transparent conducteur pour les écrans à cristaux liquides, les dispositifs d’écrans plats, les écrans à plasma, les écrans tactiles, etc.

Frappé par une impulsion laser, ce « métamatériau » peut modifier sa réflectance (soit la proportion de lumière réfléchie) sur des échelles de temps ultra-rapides, créant ainsi des « fentes temporelles » pour la lumière : lorsque le matériau est transparent, la lumière passe, mais lorsque sa réflectance augmente, elle « rebondit ». En examinant la quantité de lumière réfléchie, les chercheurs ont observé des schémas d’interférence similaires à ceux de l’expérience originale.

Des applications dans de nombreuses technologies

La différence est que dans l’expérience originale, les fentes modifient la direction de la lumière, alors que ces fentes temporelles modifient sa fréquence, donc sa couleur. Les différentes couleurs ont interféré les unes avec les autres, renforçant et annulant certaines d’entre elles pour produire une figure d’interférence. « La séparation entre les fentes temporelles détermine la période des oscillations dans le spectre de fréquence, tandis que la diminution de la visibilité des franges en fonction de la fréquence révèle la forme des fentes temporelles », écrivent les chercheurs dans Nature Physics.

interferogrammes lumiere diffraction temps
Interférogrammes complets de la lumière diffractée dans le temps en fonction de la séparation des fentes et de la fréquence : expérience (f) et théorie (g). © R. Tirole et al.

Contre toute attente, le matériau a répondu beaucoup plus rapidement que prévu au contrôle laser — 10 à 100 fois plus rapidement que ce que prédisait la théorie ! — ce qui s’est traduit par beaucoup plus d’oscillations visibles. Un contrôle aussi fin de la lumière est l’une des promesses des métamatériaux. Associé au contrôle spatial, les métamatériaux à variation temporelle pourraient donner naissance à de nouvelles technologies et même à des analogues pour l’étude de phénomènes physiques fondamentaux tels que les trous noirs, souligne le communiqué de l’Imperial College.

« L’expérience des doubles fentes temporelles ouvre la voie à une toute nouvelle spectroscopie capable de résoudre la structure temporelle d’une impulsion lumineuse à l’échelle d’une période du rayonnement », a déclaré le professeur Sir John Pendry, co-auteur de l’étude. L’équipe souhaite à présent explorer le phénomène dans un « cristal temporel » — une structure analogue à un cristal standard, mais dont la répétition du motif cristallin se fait de manière périodique dans le temps, à la manière d’un oscillateur.

La diffraction à double fente temporelle pourrait être étendue à bien d’autres domaines ondulatoires, par exemple les ondes de matière, l’optomécanique et l’acoustique, l’électronique et la spintronique, avec des applications pour la mise en forme des impulsions, le traitement des signaux et l’informatique neuromorphique, conclut l’équipe.

Source : R. Tirole et al., Nature Physics

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