Dans ce que l’un d’entre eux définit comme « l’étude la plus amusante à rédiger de toute sa carrière », des chercheurs décrivent et documentent des séquences vidéos (qu’ils ont réalisées) montrant des poulpes frappant des poissons avec leurs tentacules. Selon les conclusions de l’étude, il est possible que les animaux agissent parfois de la sorte par simple « méchanceté » et « domination » plutôt que par conflit ou dans un but de contrôle.
Ce phénomène antisocial n’est pas si étonnant. Les scientifiques l’appellent « déplacement actif des poissons », et il se produit généralement lors d’efforts de chasse communs, durant lesquels les poulpes et les poissons font équipe pour chasser et piéger ensemble leurs proies.
« Les poulpes et les poissons sont connus pour chasser ensemble, en profitant de la morphologie et de la stratégie de chasse de l’autre espèce », explique l’auteur principal de l’étude, le biologiste marin Eduardo Sampaio de l’Université de Lisbonne, au Portugal. « Comme de multiples partenaires se joignent, cela crée un réseau complexe où l’investissement et le rendement peuvent être déséquilibrés, donnant lieu à des mécanismes de contrôle des partenaires ».
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De la même manière que vous ou moi pourrions essayer de donner un coup de coude à nos collègues lors d’un buffet, ce « mécanisme de contrôle des partenaires » cherche donc à établir un sentiment de contrôle et de domination dans une mêlée générale en quête de nourriture. « À cette fin, la pieuvre effectue un mouvement rapide et explosif avec un bras dirigé vers un poisson spécifique, ce que nous appelons ici un ‘coup de poing’ », expliquent les chercheurs dans leur article.
Octopuses punch fishes. YES. OCTOPUSES. PUNCH. FISHES!!
Our new paper is out on @ESAEcology, showing that octos express this behavior during collaborative hunting with other fishes. This was probably the most fun I had writing a paper. Ever! (small 🧵)https://t.co/Vwg9BoaSUo pic.twitter.com/PIYuVXpM9t
— Eduardo Sampaio (@OctoEduardo) December 18, 2020
Un coup porté dans un but précis, mais parfois…
Dans leur étude, Sampaio et son équipe ont observé les interactions entre le poulpe de récif commun (Octopus cyanea) et un certain nombre d’espèces de poissons différentes de la mer Rouge, notamment le poisson écureuil silverspot (Sargocentron caudimaculatum), le mérou oriflamme (Epinephelus fasciatus) et le mérou croissant jaune (Variola louti), entre autres. Les résultats ont été publiés dans la revue Ecology.
« De multiples observations impliquant différentes pieuvres dans différents endroits suggèrent que le coup de tentacule sert un but concret dans les interactions interspécifiques », écrit l’équipe. « D’un point de vue écologique, le fait de frapper activement un partenaire poisson entraîne un faible coût énergétique pour l’acteur (c’est-à-dire le poulpe), et impose simultanément un coût au partenaire poisson ciblé ».
Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’une grande partie des coups visent essentiellement à maintenir les poissons dans le rang pendant la chasse, que ce soit pour les dissuader de chasser, pour les déplacer dans le groupe ou même pour les tenir complètement à l’écart. Parfois, dans les cas où les poissons ne contribuent pas à la chasse — agissant essentiellement comme des parasites espérant récolter le fruit du travail des autres —, une pieuvre peut frapper un poisson sur la base d’un objectif de compétition simple, suggère l’équipe, afin d’avoir un meilleur accès à la proie elle-même.
Un coup de tentacule par simple méchanceté ?
Mais il semble que les poissons ne soient pas toujours frappés pour des raisons pratiques immédiates… À deux reprises, les chercheurs ont observé que des coups de tentacule étaient portés même lorsque la frappe soudaine ne semblait pas liée à des tentatives de capture de proies. « Dans ces cas, deux scénarios théoriques distincts sont possibles. Dans le premier, les bénéfices sont totalement ignorés par le poulpe, et le ‘coup de poing’ est alors un comportement méchant, utilisé pour imposer un coût au poisson », écrivent les chercheurs.
« Dans l’autre scénario théorique, le coup peut être une forme d’agression avec des bénéfices retardés (c’est-à-dire une réciprocité négative directe ou une punition), où le poulpe paie un petit coût supplémentaire pour en imposer un plus lourd au partenaire qui se comporte mal, dans un effort visant à promouvoir un comportement collaboratif dans les interactions suivantes », ajoutent-ils.
Bien que nous ne puissions pas encore savoir avec certitude pourquoi les pieuvres frappent parfois les poissons « au hasard » de la sorte, au moins une des explications théoriques données par les chercheurs suggère que les pieuvres peuvent avoir une attitude très complexe dans une telle situation. Quoi qu’il en soit, nous avons encore beaucoup à apprendre sur ce phénomène et sur les relations complexes qui sont à l’œuvre lors de ces collaborations et luttes sous-marines.
« Des analyses quantitatives détaillées de ces événements de chasse multispécifiques peuvent permettre d’explorer plusieurs autres questions écologiques importantes, telles que l’existence potentielle de relations privilégiées entre les poulpes et des partenaires poissons spécifiques, et la façon dont la dynamique individuelle est modulée par le réseau d’interactions sociales (par exemple, les poissons se donnent-ils également un feed-back les uns aux autres ?) », précise l’équipe.