En cause (et sans trop de surprise) : le réchauffement climatique. Ce dernier prolonge les périodes de fonte des glaces, si bien que les ours n’ont plus le moyen de poser les pattes sur leurs terrains de chasse favoris pour se nourrir. L’animal est capable de jeûner pendant des mois pendant la période estivale, mais les conditions climatiques actuelles tendent à allonger cette période de jeûne au-delà des limites qu’ils peuvent physiologiquement supporter.
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime la population d’ours blancs à environ 26’000 individus, répartis en 19 sous-populations ; l’espèce est classée comme vulnérable. Si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement, la quasi-totalité de ces animaux sera rayée de la planète avant la fin du siècle.
Des populations menacées d’extinction
Le problème ne date pas d’hier. Il y a quelque temps, fin 2017, la photo d’un ours blanc émacié errant sur un sol exempt de neige avait fait le tour de la Toile. La situation n’a malheureusement guère évolué depuis. L’ours polaire est capable d’évoluer sur la terre ferme. Néanmoins, pour se nourrir, la glace lui est indispensable : il surveille les trous percés dans la glace jusqu’à ce qu’un phoque vienne y prendre sa respiration. Pas de glace, pas de phoque, pas de nourriture.
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Les populations d’ours polaires sont aujourd’hui réparties sur quatre écorégions arctiques : l’écorégion à glace saisonnière (Seasonal Ice Ecoregion ou SIE), l’écorégion à glace divergente (Divergent Ice Ecoregion ou DIE), l’écorégion à glace convergente (Convergent Ice Ecoregion ou CIE) et l’écorégion de l’archipel (Archipelago Ecoregion ou AE). Dans la première zone, la glace fond complètement chaque été, forçant les ours à errer sur terre, où ils doivent compter sur leurs propres réserves énergétiques. Mais l’absence de glace touche maintenant les autres régions, où les ours pouvaient auparavant compter sur une mer de glace pérenne.
Les chiffres de population avancés par l’UICN ne sont qu’une estimation, car il est particulièrement difficile de recenser ces ursidés, qui sont répartis dans des habitats à la fois éloignés et très étendus. Ainsi, le nombre total présenté ici n’inclut pas la sous-population du bassin arctique, pour laquelle aucune information sur l’abondance n’est disponible.
Péter Molnár, biologiste à l’Université de Toronto, a souhaité lever cette incertitude et estimer précisément la durée de vie de chaque groupe. Pour cela, à l’aide de ses collaborateurs, il a imité l’approche utilisée par les climatologues pour modéliser l’évolution des températures. Ainsi, pour chacun des 19 groupes d’ours polaires, les chercheurs ont combiné plusieurs paramètres dans le but de modéliser une sorte de bilan énergétique des ours.
Ils ont par exemple tenu compte de l’étendue de glace, des besoins énergétiques quotidiens des ours et de leur niveau de graisse avant chaque saison de jeûne. « En estimant le poids maximal et minimal des ours et en modélisant leur dépense énergétique, nous avons calculé le nombre limite de jours de jeûne que peut supporter un ours polaire avant que le taux de survie des adultes et des petits commence à décliner », explique Molnár.
Pour s’assurer de leurs résultats, l’équipe a testé son modèle via une analyse rétrospective des populations d’ours : ils ont comparé les projections qui auraient pu être faites dans le passé avec les observations réelles. Il se trouve que leur modèle corrobore parfaitement le déclin des ours observé dans les années 1980-1990 au Canada, dans l’ouest de la baie d’Hudson.
Un « virage climatique » indispensable à leur survie
Les conclusions de cette nouvelle étude ne sont guère réjouissantes. Un mâle de la baie d’Hudson, dont le poids au début du jeûne serait 20 % inférieur au poids moyen des ours de la période 1989-1996 ne survivrait que 125 jours (contre 200 s’il avait un poids identique) : « Si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre comme nous le faisons, il est fort probable que nous perdions toutes les populations d’ours polaires du monde avant la fin du siècle, sauf peut-être dans le très haut nord de l’Arctique, dans les îles Queen Elizabeth ». C’est le scénario envisagé si les températures augmentent de 4°C dans le monde d’ici 2100.
Le plus triste est que même si le monde entier fait des efforts en ce sens, et que l’augmentation des températures est maintenue sous la barre des 2 °C — tel que prévu par l’accord de Paris sur le climat —, la plupart des populations d’ours seront poussées bien au-delà de leurs limites physiques. La fonte des glaces est d’autant plus dramatique pour les femelles, qui mettent bas au milieu de l’hiver pour ressortir de leur tanière au printemps, avec leurs petits. Elles doivent alors faire en sorte de constituer suffisamment de réserves pour tenir tout l’été, voire plus longtemps.
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Et la réalité sera sans doute bien pire que ces prévisions. En effet, pour chaque incertitude, notamment le taux de graisse des futurs ours quand ils commenceront leur période de jeûne, les chercheurs ont introduit des erreurs plutôt « optimistes ». En outre, l’étude ne tient pas compte des ours qui seront potentiellement abattus par les humains, alors qu’ils sont obligés de se rapprocher des zones habitées pour trouver de la nourriture…
À noter que l’étude n’a pu modéliser que 13 des 19 groupes, car il n’existe pas de modèles climatiques suffisamment détaillés pour les six autres. Molnár souligne cependant qu’il n’a aucune raison de penser qu’ils évolueraient différemment. Il ajoute que même si son étude dévoile un avenir bien triste pour les ours polaires, elle montre surtout que la réduction des émissions de gaz à effet de serre peut faire une différence. « Il n’y a pas d’autre moyen », prévient-il.