En tenant compte de plusieurs facteurs simultanément, les pronostics sur l’effondrement des écosystèmes sont susceptibles de considérablement varier. De nouvelles simulations informatiques basées sur 70 000 variables (bien plus que pour les estimations antérieures) révèlent que la probabilité d’atteindre le point de basculement serait 38 à 81% plus élevée par rapport aux prédictions antérieures. Les nouvelles données soulignent l’urgence de prendre des décisions fermes et pérennes au niveau mondial quant au climat.
En général, les pronostics sur l’effondrement des écosystèmes ne tiennent comptent que d’un seul facteur à la fois, tel que la hausse des températures due à l’émission de gaz à effet de serre ou la déforestation. Cependant, il est important de savoir que la plupart de ces facteurs de destruction des écosystèmes s’interdépendent, et la présence d’un seul d’entre eux peut entraîner une cascade d’effets menant à l’augmentation des autres menaces.
En effet, l’empreinte anthropique sur les écosystèmes comprend un grand nombre de variables. Mis à part la déforestation, la forêt amazonienne est par exemple sous le joug d’autres menaces extrêmes telles que la contamination des cours d’eau par l’exploitation minière ou l’agriculture intensive, le stress hydrique, la fragmentation de la couverture arborée, etc.
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Le stress hydrique peut être provoqué par la contamination de l’eau ou par la sécheresse, qui elle, est due à la perte de couverture forestière — qui (en rétroaction) engendre un stress hydrique supplémentaire. Le changement climatique est susceptible d’exacerber ces menaces, selon un effet rétroactif supplémentaire (avec des cycles hydriques toujours plus fragilisés).
Le réchauffement climatique augmentera la fréquence d’événements extrêmes et exacerbera de ce fait la probabilité de phénomènes naturels composés et destructeurs. « Nous prévoyons que des niveaux de stress plus élevés, plus de facteurs et de variables, peuvent entraîner plus rapidement des changements dépendant du seuil », écrivent les auteurs de la nouvelle simulation dans leur article, paru dans la revue Nature Sustainability.
Les rapports des experts climatiques des Nations unies indiquent que le point de basculement de l’Amazonie sera probablement atteint d’ici 2100. Cependant, la plupart des pronostics établis sur le basculement des écosystèmes anthropocènes sont controversés au sein de la communauté scientifique, dont les auteurs de la nouvelle étude. Les résultats de cette dernière — codirigée par l’Université de Bangor en Grande-Bretagne — révèlent que ces événements critiques pourraient arriver beaucoup plus tôt.
Ces nouveaux pronostics ont été extrapolés en tenant compte des phénomènes de rétroaction complexes des effets multifactoriels du changement des écosystèmes. Ces rétroactions peuvent agir de manière synergique ou de manière antagoniste. « Des études antérieures sur les points de basculement écologiques suggèrent des coûts sociaux et économiques importants à partir de la seconde moitié du XXIe siècle. Nos résultats suggèrent que ces coûts pourraient survenir beaucoup plus tôt », indique le coauteur de la nouvelle étude et chercheur à l’Université de Southampton, John Dearing.
Une probabilité d’effondrement 38 à 81% plus élevée que précédemment estimé
Pour effectuer leurs simulations, les chercheurs ont sélectionné une gamme de modèles dynamiques d’écosystèmes ayant été antérieurement utilisés pour extrapoler des résultats généralisables. Reflétant des écosystèmes modernes, ces modèles incluent des interactions anthropiques diversifiées, telles que la pêche ou l’exploitation du bois (déforestation).
Les chercheurs ont examiné deux écosystèmes lacustres et deux autres forestiers. Les quatre modèles ont chacun un facteur « lent » principal (de base), où des changements linéaires au fil du temps peuvent induire des variations des résultats pour le pronostic de basculement. Ce facteur principal peut être la déforestation, le réchauffement climatique, la sécheresse, etc. Dans l’ensemble, les simulations tiennent compte de 70 000 variables distinctes.
Les chercheurs ont constaté que dans chacun des modèles, lorsque l’intensité du facteur lent est augmentée, les écosystèmes s’effondrent plus tôt que les prédictions antérieurement émises. Lorsque cette augmentation s’effectue parallèlement à celle de plusieurs autres facteurs, la probabilité d’effondrement est de 38 à 81% plus élevée. Près de 15% des effondrements se sont produits plus tôt en tenant compte d’autres événements extrêmes mis à part le facteur principal, et ce même en maintenant cette base à un niveau constant. De ce fait, même si l’on parvenait à gérer durablement une partie des écosystèmes, de nouveaux facteurs de stress écologiques tels que les phénomènes météorologiques extrêmes pourraient mener beaucoup plus rapidement vers leur effondrement.
Pour le cas de la forêt amazonienne, le point de basculement risque davantage d’être imminent, les forêts tropicales étant particulièrement sensibles aux variations des précipitations. Les scientifiques estiment qu’elle pourrait bientôt se transformer en savane et bouleverser l’équilibre climatique de la planète entière. Ce point serait atteint selon un mécanisme complexe de rétroaction entre les émissions de carbone, la déforestation, la sécheresse, etc.
« Dans les pires scénarios, le cercle s’accélère à mesure que les rétroactions de renforcement accélèrent les connexions ou que les activités humaines augmentent les niveaux de stress », écrivent les chercheurs britanniques. L’un d’eux, Simon Willcock du Rothamsted Research, estime que « nous pourrions être de manière réaliste la dernière génération à voir la forêt amazonienne ».
D’un autre côté, ces événements extrêmes pourraient également s’inter-neutraliser selon un phénomène de rétroaction synergique, et rendre certains écosystèmes résilients. Dans le bassin du Congo par exemple, un scénario d’émissions carbone élevées rendrait certaines parties de la forêt primaire moins susceptibles de franchir un point de basculement, permettant d’atteindre un état de résilience stable. Néanmoins, ces zones restent relativement restreintes et les dernières simulations soulignent davantage le besoin d’actions urgentes par les décideurs mondiaux.