L’utilisation du son comme moyen de communication est aisément reconnue chez les vertébrés terrestres et les mammifères marins comme les baleines et les dauphins. Elle l’est beaucoup moins chez les poissons, même si l’émission de leurs sons a déjà été captée à de nombreuses reprises. Une nouvelle étude de l’université Cornell (États-Unis) révèle que la grande majorité des poissons communiquent entre eux de cette façon pour attirer un partenaire, défendre une source de nourriture, ou encore indiquer aux autres leur localisation.
Certains poissons utiliseraient même le son à cette fin depuis plus de 155 millions d’années. « Nous savons depuis longtemps que certains poissons émettent des sons », a déclaré dans un communiqué l’auteur principal, Aaron Rice, chercheur au K. Lisa Yang Center for Conservation Bioacoustics. « Mais les sons émis par les poissons ont toujours été perçus comme de rares bizarreries. Nous voulions savoir s’il s’agissait de cas uniques ou s’il existait un modèle plus large de communication acoustique chez les poissons ».
Les actinoptérygiens représentent plus de la moitié des vertébrés
Aaron Rice s’est intéressé aux actinoptérygiens, une branche de poissons à nageoires rayonnées qui englobe plus de 34 000 espèces et représente plus de la moitié des vertébrés existants. Les chercheurs se sont plus précisément penchés sur 175 familles de ces vertébrés, dont les deux tiers des espèces sont capables de communiquer par le son. Ils ont envisagé une approche phylogénétique quantitative pour tester l’hypothèse selon laquelle la production de sons est un comportement ancien qui a évolué plus d’une fois chez les poissons à nageoires rayonnées, comme cela a été démontré pour les tétrapodes en 2020.
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En tout, les scientifiques ont utilisé trois sources d’information
: des enregistrements existants et des articles scientifiques qui
décrivent les sons des poissons, l’anatomie connue d’un poisson
(s’il possède les bons outils pour émettre des sons, comme certains
os, une vessie d’air et des muscles spécifiques aux sons), ainsi
que des références dans la littérature du XIXe siècle avant
l’invention des microphones sous-marins.
« Nos résultats soutiennent fortement l’hypothèse selon laquelle le comportement sonifère est ancien »
Sur 175 familles de poissons, deux tiers étaient donc susceptibles de communiquer par le son. La compilation des caractères morphologiques liés au son montre 60 familles présentant des muscles couplés à la vibration de la vessie natatoire et 39 familles qui utilisent le mouvement des parties du squelette les unes contre les autres. En effet, les adaptations et spécialisations des vertébrés aquatiques au fil du temps entrent en jeu dans la production de sons.
Cette dernière a ainsi évolué indépendamment au moins 33 fois au sein des actinoptérygiens. Le langage des poissons est apparu il y a environ 155 millions d’années, ce qui correspond à l’époque où les animaux terrestres dotés d’une colonne vertébrale ont également commencé à produire des sons. « Nos résultats soutiennent fortement l’hypothèse selon laquelle le comportement sonifère est ancien », écrit l’équipe dans son article. « Ensemble, ces résultats soulignent la forte pression de sélection favorisant l’évolution de ce caractère à travers les lignées de vertébrés ».
Toutefois, il ressort de l’étude des incertitudes liées à l’unique
analyse des enregistrements de présence vocale : il se peut
que d’autres groupes de poissons n’aient pas pu faire entendre leur
« voix ». Les auteurs relèvent également s’être basés sur
l’hypothèse de la conservation de la production de sons au niveau
de la famille et sur un sous-échantillonnage des espèces. Malgré
cela, les analyses montrent que ces modèles d’ascendance partagée
sont robustes. Les groupes de poissons les plus bavards étaient le
poisson-crapaud et le poisson-chat, nommés d’ailleurs d’après le
son qu’ils émettent !
Qu’échangent les poissons entre eux par ce biais sonore ? Selon l’auteur principal de l’étude, ils tentent d’attirer un partenaire, de défendre une source de nourriture ou un territoire, ou encore de communiquer aux autres où ils se trouvent. Rice a l’intention de poursuivre sa découverte de nouveaux sons chez les espèces de poissons et de les ajouter à sa base de données. « Les poissons font tout : ils respirent de l’air, ils planent, ils mangent tout et n’importe quoi… à ce stade, rien ne me surprendrait concernant les poissons et les sons qu’ils peuvent émettre », conclut le chercheur.