Une population oubliée du Sahara révélée par l’ADN de momies vieilles de 7 000 ans

Deux momies livrent le génome d’un peuple longtemps resté à l’écart des grandes migrations humaines.

Des momies vieilles de 7 000 ans éclairent sur l'histoire génétique d'un peuple oublié
Cette momie, vieille de 7000 ans et trouvée dans un abri sous roche dans le sud de la Libye, contenait encore de l'ADN. | Université Sapienza de Rome

Une étude récente, menée par des généticiens et des archéologues, met au jour l’histoire génétique d’un groupe humain longtemps resté isolé au cœur du Sahara. Grâce à l’ADN de deux momies âgées de 7 000 ans, découvertes dans une grotte du sud de la Libye, les chercheurs ont identifié une population coupée des grands mouvements migratoires, à l’époque où le désert était encore une savane verdoyante. Cette avancée s’inscrit dans un élan de découvertes en paléoanthropologie africaine. En décembre 2024, une équipe dirigée par Kevin Hatala, de l’Université de Chatham, avait déjà révélé que des empreintes fossilisées découvertes au Kenya appartenaient à deux espèces d’hominines ayant vécu côte à côte.

Entre 14 500 et 5 000 ans avant notre ère, le Sahara — aujourd’hui vaste étendue aride — offrait un tout autre visage : celui d’une savane luxuriante, rythmée par les moussons, peuplée d’hippopotames, de crocodiles, d’éléphants et de girafes. C’est dans ce milieu verdoyant que l’homme chassait, pêchait, puis s’initia progressivement à l’élevage.

Une énigme persistait toutefois : l’adoption de l’élevage dans cette région résultait-elle de migrations venues de contrées lointaines, ou d’un simple transfert culturel ? Le climat extrême ayant altéré la conservation de l’ADN, la réponse à cette question paraissait jusqu’à récemment hors de portée.

Des momies livrant le génome d’une population oubliée

Pour tenter d’éclaircir ce mystère, les chercheurs ont orienté leurs investigations vers le site de Takarkori, situé dans l’extrême sud-ouest libyen, à proximité de la frontière algérienne. Les fouilles, menées entre 2003 et 2006, ont permis d’explorer un abri sous roche d’une grande richesse archéologique.

Dirigée par l’archéologue Savino di Lernia, de l’Université La Sapienza de Rome, l’équipe a mis au jour des poteries portant les plus anciennes traces connues de production laitière sur le continent africain, ainsi que des indices de domestication précoce de céréales sauvages.

Les grottes environnantes, ornées de riches représentations d’art rupestre, illustrent des scènes de chasse et d’élevage. Quinze sépultures y ont été recensées, datées entre 8 000 et 400 ans avant notre ère, pour la plupart des femmes et des enfants. « Nous avons découvert la première momie dès le deuxième jour des fouilles », se souvient di Lernia, cité par CNN. « Nous avons simplement écarté le sable et mis au jour une mandibule. »

Deux des momies, appartenant à des femmes d’une quarantaine d’années, sont mortes vers 5 000 avant notre ère, au moment où les bouleversements climatiques mettaient un terme à l’épisode humide du Sahara. Conservés par la sécheresse extrême, leurs corps ont livré un ADN suffisamment intact pour permettre la reconstitution intégrale de leurs génomes. « La préservation de ces échantillons est inespérée », confie Nada Salem, paléogénéticienne à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive et co-auteure de l’étude, à Science Magazine.

Près de mille génomes analysés

Une première analyse conduite en 2019 s’était limitée à l’ADN mitochondrial, transmis uniquement par la lignée maternelle. Cette fois, les chercheurs ont séquencé l’intégralité des génomes des deux momies, les confrontant à 795 génomes contemporains et à 117 génomes anciens, issus d’Afrique, d’Asie du Sud-Ouest et d’Europe.

Leurs conclusions, publiées dans la revue Nature, révèlent que les individus de Takarkori étaient principalement issus d’une lignée nord-africaine distincte, sans influence notable des populations subsahariennes. Autre révélation : ces femmes partageaient une proximité génétique avec des chasseurs-cueilleurs ayant vécu 15 000 ans plus tôt dans la grotte de Taforalt, au Maroc — bien avant la phase humide du Sahara.

« Nos travaux remettent en question les modèles traditionnels de peuplement de l’Afrique du Nord et mettent en lumière l’existence d’une lignée génétique profondément enracinée et longtemps isolée », précise Salem dans un communiqué.

Les scientifiques ont poussé plus loin leurs investigations, comparant les génomes de Takarkori à ceux d’Homo sapiens découverts à Zlatý kůň, en République tchèque, datés de 50 000 à 60 000 ans. Ces derniers figurent parmi les plus anciens représentants connus de l’humanité hors d’Afrique. Contre toute attente, les momies sahariennes présentent une parenté plus marquée avec cette population européenne ancienne qu’avec les Africains subsahariens actuels.

Les analyses révèlent par ailleurs que les génomes de Takarkori comportent des traces d’ADN néandertalien, mais en proportion dix fois inférieure à celle observée chez les populations humaines modernes non africaines. Cette faible teneur reste compatible avec une origine africaine relativement isolée, sans métissage néandertalien significatif, renforçant l’hypothèse d’un isolement prolongé de cette population.

Ces résultats suggèrent que l’élevage, loin d’avoir été introduit par des groupes exogènes, se serait diffusé par le biais de réseaux d’échange préexistants. « Notre étude montre que le pastoralisme s’est implanté dans le Sahara vert non par migrations massives, mais vraisemblablement par des interactions culturelles », conclut Salem.

Source : Nature

Laisser un commentaire

Vous voulez éliminer les publicités tout en continuant de nous soutenir ?


Il suffit de s'abonner !


JE M'ABONNE

ADN mutation effet tunnel L’acide désoxyribonucléique, communément appelé ADN, est une molécule complexe qui joue un rôle essentiel dans la biologie des organismes vivants. Il contient les instructions génétiques utilisées dans [...]

Lire la suite