Dans le règne animal, la reproduction réserve parfois des scénarios inattendus, notamment lorsque le cannibalisme sexuel s’en mêle. C’est le cas des pieuvres à lignes bleues (Hapalochlaena fasciata), un céphalopode aux motifs lumineux et au comportement fascinant. Ce prédateur marin risque d’être tué puis dévoré par la femelle après l’accouplement.
Ce phénomène, longtemps étudié par les biologistes, ne se résume pas à un simple instinct de survie. Dans le cadre de recherches menées sur Hapalochlaena fasciata, une équipe de biologistes marins australiens a mis en lumière une stratégie inattendue des mâles pour éviter ce sort funeste : avant l’accouplement, ils administrent une morsure venimeuse à leur partenaire afin de l’immobiliser temporairement. Une découverte qui remet en question certaines hypothèses sur les stratégies reproductives des céphalopodes et révèle un usage méconnu du venin dans le monde animal.
Certaines espèces, telles que les mantes religieuses, les araignées ou certains poissons, sont réputées pour leur cannibalisme sexuel, un comportement souvent interprété comme un moyen pour la femelle d’obtenir un apport en protéines essentiel à la gestation. Mais tandis que certains mâles semblent se résigner à cette issue, d’autres développent des mécanismes pour y échapper. C’est le cas des pieuvres à lignes bleues.
Ce petit céphalopode venimeux évolue dans les eaux côtières du Pacifique et de l’océan Indien, notamment en Australie, en Indonésie, aux Philippines et au Japon. Son apparence singulière – des anneaux bleu électrique qui s’illuminent en cas de danger – constitue un avertissement sans équivoque à ses prédateurs. Son venin, une neurotoxine puissante appelée tétrodotoxine, est capable d’induire une paralysie fatale, aussi bien chez ses proies que chez l’homme.
Contrairement à d’autres créatures qui produisent directement leur toxine, ces pieuvres la synthétisent grâce à des bactéries symbiotiques présentes dans leurs glandes salivaires. Morphologiquement, ces pieuvres sont de taille modeste, entre 10 et 20 centimètres tentacules compris, tandis que les femelles peuvent être deux à cinq fois plus grandes que les mâles.
Un accouplement sous haute tension
Pour mieux comprendre le rituel reproductif de Hapalochlaena fasciata, une équipe dirigée par le Dr Wen-Sung Chung, du Queensland Brain Institute, a observé des spécimens en laboratoire. Leurs recherches ont révélé une stratégie aussi surprenante qu’efficace : dès le début du processus, les mâles mordent une zone vasculaire précise de la femelle.
« Le cannibalisme sexuel est fréquent chez les céphalopodes », explique le Dr Chung dans une interview accordée au Guardian. « Lorsqu’elles pondent leurs œufs, les femelles cessent de s’alimenter pendant environ six semaines et se consacrent exclusivement à leur couvaison. Elles ont donc besoin d’une réserve d’énergie considérable ».
Publiée dans la revue Current Biology, l’étude révèle que ces morsures induisent une paralysie temporaire chez les femelles, permettant ainsi aux mâles de s’accoupler pendant 40 à 75 minutes. La toxine ralentit progressivement leur respiration, jusqu’à provoquer un état d’inertie momentané.
Les chercheurs ont noté que les pupilles des femelles se contractaient et qu’elles ne réagissaient plus à la lumière durant environ huit minutes. Une fois revenues à elles, elles repoussaient leurs partenaires et retrouvaient leur mobilité.
« L’accouplement prenait fin dès que les femelles reprenaient le contrôle de leurs bras et repoussaient les mâles », soulignent les scientifiques dans leur étude. Autre constat frappant : la glande salivaire des mâles est environ trois fois plus lourde que celle des femelles, suggérant un rôle clé dans cette stratégie de survie.
Un équilibre fragile entre reproduction et prédation
Si aucune femelle observée au cours de l’expérience n’a succombé pendant l’accouplement, toutes ont gardé des séquelles visibles de ces morsures : plaies ouvertes, gonflements et cicatrices. Malgré cela, elles ont repris leur alimentation dès le lendemain et ont pondu leurs œufs dans un délai de trois à vingt-neuf jours.
Loin d’être un cas isolé, cette tactique d’accouplement assistée par le venin se retrouve chez d’autres espèces de céphalopodes. Certains mâles, pour éviter d’être dévorés, utilisent leur hectocotyle – un bras spécialisé – afin de déposer leur spermatophore directement dans l’oviducte de la femelle, sans contact prolongé.
Cette découverte illustre la complexité des stratégies évolutives dans le règne animal, où la reproduction peut être marquée par des interactions compétitives. Chez Hapalochlaena fasciata, le venin, bien plus qu’une arme de défense, devient ainsi un outil de survie au service de la perpétuation de l’espèce.