L’année est divisée en quatre saisons, quatre périodes de durée équivalente caractérisées par leur climat et les changements observables dans la nature environnante. Le corps humain subit lui aussi des modifications au fil des saisons, mais des chercheurs américains suggèrent que notre organisme distingue non pas quatre, mais deux saisons uniquement. Deux périodes séparées par des phases de transition durant lesquelles certains marqueurs biologiques sont plus ou moins élevés.
Pour le monde végétal, aucun doute possible : hiver, printemps, été, automne, chaque saison est marquée par des changements flagrants dans le métabolisme des plantes. Qu’en est-il de l’être humain ? Notre biologie s’adapte-t-elle elle aussi au rythme des saisons ? C’est ce qu’ont souhaité vérifier des chercheurs de la Stanford School of Medicine. Leurs résultats suggèrent que notre organisme ne distingue que deux périodes principales dans l’année.
Fin du printemps et début de l’hiver : deux périodes clés
Plusieurs études passées ont montré que certaines pathologies étaient associées aux changements saisonniers. Par exemple, les taux de mortalité aux États-Unis révèlent une saisonnalité notable avec des taux en hiver 25% plus élevés qu’en été. Les allergies, les maladies auto-immunes, les maladies cardiovasculaires, ainsi que les troubles psychiatriques sont eux aussi intimement liés aux saisons. De plus, une série d’études démographiques à grande échelle a révélé que les pressions artérielles systolique et diastolique étaient plus élevées en hiver qu’en été. La façon dont les processus biologiques et physiologiques humains varient avec les saisons reste toutefois à éclaircir.
Pour en savoir plus à ce sujet, des scientifiques ont étudié la composition moléculaire de l’organisme d’une centaine d’individus, pendant quatre ans, pour tenter de trouver une corrélation avec le déroulement des saisons. Mais les changements observés ne correspondaient pas aux différents signaux caractéristiques des quatre saisons.
Michael Snyder — directeur du département de génétique à l’Université de Standford et auteur principal de l’étude — et ses collaborateurs ont identifié plus de 1000 molécules dans l’organisme, dont le taux fluctuait chaque année, à deux moments bien précis : à la fin du printemps, puis lors du passage de l’automne à l’hiver. Ces deux périodes charnières correspondent à des changements dans l’air, mais aussi dans le corps. Si l’on peut globalement résumer l’année en deux périodes, une froide et une chaude — ce qui pourrait expliquer l’existence de deux périodes de transition dans notre organisme — Snyder précise que cela n’est pas si simple que cela, car les données ne concordent pas réellement avec les transitions météorologiques observées.
Au total, 105 personnes âgées de 25 à 75 ans ont participé à cette étude. La moitié de l’échantillon présentait une résistance à l’insuline, en d’autres termes, leur organisme n’assimilait pas le glucose normalement. Quatre fois par an, pendant quatre ans, les participants ont fourni des échantillons de leur sang aux chercheurs pour analyses. À partir de ces prélèvements, les scientifiques ont ainsi obtenu des informations sur l’immunité, la santé cardiovasculaire, le métabolisme ou encore le microbiote nasal et intestinal de ces personnes. Parallèlement, ils ont pris note de l’activité physique et des habitudes alimentaires de chacun.
Snyder et son équipe soulignent toutefois que les résultats de cette recherche sont à prendre avec du recul, car les participants à l’étude étaient tous issus de Californie. Or, il est probable que les modèles moléculaires d’individus issus d’autres régions des États-Unis (et d’autres pays) diffèrent, en fonction des variations atmosphériques et environnementales.
Vers une meilleure prévention de certaines pathologies
Quels changements interviennent dans notre corps à ces deux périodes clés ? Les analyses ont révélé qu’à la fin du printemps, les biomarqueurs inflammatoires — associés notamment aux allergies — augmentaient. À cette même période apparaissait aussi un pic de molécules impliquées dans la polyarthrite rhumatoïde et l’arthrose. Les chercheurs ont également remarqué qu’une forme glyquée d’hémoglobine, notée HbAc1 — une protéine qui permet de déterminer la concentration de glucose dans le sang, généralement révélatrice d’un diabète de type 2 — atteignait elle aussi son maximum au printemps et en été, alors qu’elle est faible en hiver. Les globules rouges suivent un schéma saisonnier similaire.
Du côté du cholestérol, le taux de HDL (connu comme « le bon cholestérol ») culmine en été, tandis que le rapport LDL/HDL est maximal en hiver. Enfin, le gène PER1, connu pour son rôle majeur dans la régulation des rythmes circadiens (cycles veille-sommeil) et du métabolisme, était également à son plus haut niveau d’expression au printemps.
Certaines de ces variations trouvent une explication évidente. Les marqueurs inflammatoires, par exemple, sont en augmentation au printemps du fait de la quantité élevée de pollens dans l’air à cette période de l’année. Pour d’autres molécules, une augmentation soudaine est plus intrigante. Concernant le taux élevé d’HbAc1, les chercheurs suggèrent qu’il est probablement dû à une alimentation plus copieuse et à un déclin global de l’exercice physique généralement observé en hiver — les niveaux d’HbA1c reflètent en effet les habitudes alimentaires et comportementales des trois mois précédant la mesure.
Par ailleurs, les chercheurs ont constaté qu’au début de l’hiver, les molécules immunitaires connues pour lutter contre les infections virales étaient en hausse. Idem pour les molécules impliquées dans le développement de l’acné : la température de l’air et la faible humidité en hiver augmentent la perméabilité de la peau, l’épaississement de l’épiderme et stimulent la production de médiateurs inflammatoires, ce qui conduit à une aggravation de l’acné. Les marqueurs biologiques liés à l’hypertension artérielle s’avéraient également plus élevés en hiver.
Les auteurs de l’étude ont relevé en outre des différences notables au niveau du microbiome entre les personnes insulino-résistantes et les autres participants. La quantité de veillonelles — des bactéries impliquées dans la fermentation de l’acide lactique et le traitement du glucose — s’est avérée plus élevée chez les personnes insulino-résistantes tout au long de l’année, sauf de la mi-mars à la fin juin.
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Toutes ces observations constituent de nouvelles pistes pour améliorer la prise en charge des patients. En effet, comme l’explique M. Reza Sailani, co-auteur de l’étude, ces découvertes pourraient par exemple permettre d’identifier plus facilement les allergènes : « Nous pouvons suivre les pollens qui circulent à des moments précis et les associer à des lectures personnalisées des modèles moléculaires, pour identifier exactement à quoi une personne est allergique ».
Connaître les taux les plus bas et les plus élevés de certaines molécules de l’organisme, permet de mieux comprendre le contexte de ces fluctuations biologiques et potentiellement agir de manière proactive sur sa santé. Par exemple, si un individu sait que son taux d’HbA1C tend à être anormalement élevé au printemps, il peut adopter un comportement préventif en essayant de faire un peu plus d’exercice pendant l’hiver.
Enfin, Snyder et ses collaborateurs estiment que leur découverte peut également aider à la conception de nouveaux médicaments. En effet, leurs résultats montrent qu’il est important de tenir compte de la période de l’année au cours de laquelle sont effectués les tests cliniques de nouveaux produits, car les résultats seront probablement différents selon le taux des marqueurs biologiques concernés.