Depuis plusieurs décennies, les biologistes savent que les moustiques mâles ne s’attaquent pas aux humains. En plus de manquer de l’appareillage anatomique nécessaire pour percer la peau, ils sont pratiquement incapables d’identifier et traquer les humains comme le font les moustiques femelles. En outre, ils ne présentent aucune attirance pour le sang. Toutefois, cela ne signifie pas qu’ils ne pourraient pas chasser les humains comme le font les femelles. En effet, des chercheurs ont découvert que les moustiques mâles disposent des mêmes circuits neuronaux que les femelles lorsqu’il s’agit de rechercher et identifier l’odeur humaine. Mais ces fonctions sont génétiquement verrouillées.
Il semble que les deux sexes de moustiques partagent les mêmes neurones et structures cérébrales nécessaires pour trouver des humains, mais que ce matériel est caché dans le cerveau du moustique mâle, verrouillé derrière un simple interrupteur génétique. Si ce gène mutait, les moustiques mâles se mettraient alors immédiatement en recherche de proies. Ces résultats pourraient contribuer à notre compréhension de la façon dont les moustiques femelles propagent des maladies, qui font des millions de morts.
« Cela nous permet d’explorer le cerveau des moustiques. Nous n’avions vraiment aucune idée de quels circuits dans le cerveau pourraient dicter la façon dont les moustiques femelles détectent les humains et prennent des décisions pour les piquer. Maintenant que nous savons quel gène les contrôle, nous pouvons regarder à l’intérieur du cerveau et enquêter plus avant », déclare Nipun Basrur, biologiste et auteur de la recherche.
Basrur et ses collègues ont commencé leur travail en examinant un gène appelé infructueux (fruitless), connu pour contrôler le comportement de parade chez les drosophiles. Lorsqu’ils ont éliminé le gène analogue chez les moustiques mâles, ces insectes, comme les drosophiles, n’ont pas réussi à s’accoupler efficacement avec les femelles. Mais les scientifiques ont choisi d’enquêter plus avant, soupçonnant que la mutation pourrait également avoir un impact sur l’attrait pour le sang des moustiques mâles.
Des fonctions génétiquement inhibées
Lorsqu’on leur offrait du sang chaud à travers un filet, les mâles mutants s’abstenaient tout comme les mâles non mutants, même lorsque les moustiques femelles participaient. Lorsqu’elles sont exposées à la chaleur corporelle, les femelles apprécient ce qu’elles ressentent. Les mâles mutants, quant à eux, ne sont pas attirés par la promesse d’un repas à base de sang — suggérant que le gène corrompu ne joue pas un rôle dans le comportement alimentaire en soi.
Mais lorsque les chercheurs ont offert à ces mâles mutants un bras humain, ils ont soudainement essaimé. « Ce fut une découverte vraiment inattendue et spectaculaire. Nous n’avions jamais vu de mâles intéressés par l’odeur d’un humain auparavant », déclare Leslie Vosshall, directrice du laboratoire de recherche.
Des tests ultérieurs ont confirmé que, alors que les moustiques mâles mutants n’avaient toujours pas le désir de boire du sang et la capacité de détecter la chaleur corporelle, la désactivation du gène infructueux avait permis à leur cerveau de traiter l’odeur unique d’un humain vivant ; activant la recherche d’humains comme le font les femelles. « Cela suggère que les moustiques mâles possèdent en fait les circuits neuronaux nécessaires pour chasser les humains. L’élimination du gène infructueux semble révéler ce comportement latent chez les mâles », indique Basrur.
Étudier plus avant le génome des moustiques
Une application possible, quoique théorique, consisterait un jour à utiliser ces informations pour masculiniser les moustiques femelles, bloquant ainsi leur capacité à propager des maladies. Cependant, les premières tentatives de le faire en laboratoire ont rendu les moustiques femelles non viables en raison de défauts d’alimentation sanguine et de ponte. D’un intérêt plus immédiat est la découverte que les circuits neuronaux que les femelles utilisent pour détecter les humains sont en sommeil dans le cerveau du moustique mâle, verrouillés par un seul gène.
Des études futures du laboratoire de Vosshall étudieront ces neurones latents, en continuant d’explorer comment les différences sexuelles sont codées dans le cerveau et déterminées par les gènes. « Pendant longtemps, on a supposé que les comportements sexospécifiques provenaient d’ensembles de neurones entièrement spécifiques à ce sexe. Mais des travaux récents, y compris notre étude, ont montré que les deux sexes ont souvent les mêmes neurones et que la génétique contrôle la façon dont ils sont utilisés », conclut Basrur.