Tout le monde a déjà vécu ces deux cas de figure. Parfois, on se réveille avec l’impression d’avoir vécu une aventure extraordinaire au cours de la nuit, plus ou moins étrange et plus ou moins désagréable, dans tels lieux, avec telles personnes, etc. Un scénario si farfelu que l’on se demande souvent ce que cela peut bien révéler sur notre inconscient… Mais parfois, on ne se souvient de rien du tout, comme si l’on n’avait pas rêvé une seule seconde. Pourtant, tout le monde rêve. Chaque nuit. Alors, qu’est-ce qui peut bien conditionner ces réminiscences ?
Pour commencer, rappelons que le sommeil se décompose en plusieurs phases : l’endormissement, le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. Au cours de la nuit, ces phases se répètent de façon cyclique : on compte en moyenne 3 à 6 cycles d’environ 60 à 120 minutes chacun. C’est pendant les phases de sommeil paradoxal que nous rêvons. Notre activité cérébrale est alors très intense et nos yeux effectuent des mouvements rapides incessants (on parle d’ailleurs de « sommeil REM », pour rapid eye movement).
Le sommeil paradoxal représente généralement 20 à 25% du temps de sommeil total, et dure plus longtemps dans les derniers cycles de sommeil (ce qui explique en partie pourquoi on s’éveille parfois le matin avec l’impression d’être réveillé au milieu d’un rêve). À noter que des rêves peuvent aussi survenir au cours du sommeil lent léger, mais ils sont beaucoup moins intenses et correspondent davantage à des idées abstraites qu’à de véritables représentations oniriques.
Des neurones chargés de « trier » les rêves
Beaucoup d’études ont montré que le sommeil aide le cerveau à stocker de nouveaux souvenirs. D’autres ont évoqué la possibilité que le sommeil soit aussi l’occasion pour le cerveau d’éliminer un surplus d’informations. Les spécialistes s’accordent à dire que dès que l’on sort du sommeil paradoxal pour entrer dans le sommeil lent, il suffit d’une dizaine de minutes pour que les rêves disparaissent de notre mémoire.
Si l’on ne se souvient pas toujours de ses rêves, c’est a priori parce que nos neurones se chargent de « faire le tri » dans toutes les informations que l’on accumule. C’est du moins la conclusion d’une étude publiée en septembre 2019 dans Science : à partir d’expériences sur des modèles murins, les chercheurs ont découvert que les neurones producteurs de l’hormone de mélano-concentration (notées MCH), localisés dans l’hypothalamus, contribuent activement à l’oubli des rêves.
Ces neurones, qui s’activent surtout pendant le sommeil paradoxal, seraient en effet capables de différencier les souvenirs importants pour notre psychisme de ceux de moindre intérêt. Les premiers sont alors stockés dans notre inconscient, tandis que les autres sont tout bonnement effacés de notre mémoire — dans ce cas, les neurones MCH envoient des messages inhibiteurs à l’hippocampe, qui est le centre de mémoire du cerveau. Et ils procéderaient de la même façon avec les séquences oniriques : en d’autres termes, si nos rêves sont jugés sans intérêt, ils ne sont pas conservés.
Pas de panique, si vous ne vous souvenez jamais de vos rêves, cela ne signifie pas forcément qu’ils n’ont aucun intérêt ! Simplement, cela signifie que les souvenirs engrangés au cours de la journée, pendant la phase d’éveil, sont plus importants — et la place étant limitée, ils méritent davantage d’être stockés en mémoire que vos rêves.
Une capacité liée à la densité de matière blanche du cortex préfrontal médian
Pour résumer, se souvenir en détail d’un rêve implique deux conditions : il faut qu’il survienne vers la fin du temps de sommeil — lorsque la phase de sommeil paradoxal se fait plus longue — et qu’il soit suffisamment intéressant pour être maintenu en mémoire.
Une autre étude publiée en 2017 dans la revue Frontiers in Human Neuroscience, rapportait par ailleurs que des stimuli auditifs extérieurs pourraient eux aussi jouer un rôle dans la mémorisation des rêves ; ces bruits provoqueraient de très brefs réveils, suffisamment longs pour permettre à l’individu concerné de se souvenir de ses rêves. Ainsi, les personnes qui sont d’une manière générale particulièrement sensibles aux stimuli auditifs — que ce soit pendant l’éveil ou le sommeil — seraient davantage sujettes aux microréveils et se souviendraient bien mieux de leurs rêves.
En 2018, la même équipe de chercheurs rapportait que la fréquence de rappel des rêves est également associée à la densité de matière blanche du cortex préfrontal médian, qui s’avère plus élevée chez les personnes se rappelant de leurs rêves ; c’est d’ailleurs la première étude qui met en évidence des différences structurelles cérébrales entre les « grands rêveurs » et les « petits rêveurs ». Ceci dit, les chercheurs ont conclu que le cortex préfrontal médian joue davantage un rôle dans la production des rêves que dans leur mémorisation. L’absence de différence significative entre les deux groupes au niveau de l’amygdale et de l’hippocampe soutenait par ailleurs l’idée que ces deux régions ne sont pas directement impliquées dans la fréquence de la mémoire des rêves.
En conclusion, nous ne sommes physiologiquement pas tous égaux devant le monde merveilleux des rêves, mais une chose est sûre : on rêve même lorsque l’on ne s’en souvient pas. C’est la conclusion d’une étude menée en 2015 auprès de personnes souffrant de ce que l’on appelle un Trouble comportemental en sommeil paradoxal (TCSP) — qui s’exprime par des comportements nocturnes anormaux (cris, mouvements brusques et violents, etc.), car contrairement au dormeur « sain », le dormeur souffrant de TCSP peut bouger pendant le sommeil paradoxal. Ces extériorisations du rêve, clairement visibles par les observateurs, suggèrent que les personnes qui ne se souviennent jamais de leurs rêves sont tout de même capables d’en produire. « La production de rêves est universelle, la capacité à s’en souvenir est variable », concluaient les chercheurs.