De nouvelles données suggèrent que l’Univers a été « préchauffé » avant l’époque de la Réionisation, ce qui remet en question l’hypothèse conventionnelle selon laquelle cette étape s’est déroulée à des températures ultra-froides. Des signaux de réchauffement du milieu intergalactique ont notamment été détectés 800 millions d’années après le Big Bang. Ces observations fournissent de nouveaux indices améliorant notre compréhension de la transition du cosmos de l’Âge sombre à la Réionisation.
Le premier milliard d’années après le Big Bang a vu la naissance des premières étoiles et galaxies ainsi que la transition d’un espace opaque vers un cosmos ionisé et transparent. La période d’opacité, appelée Âge sombre de l’Univers, a été caractérisée par un espace dominé par de l’hydrogène neutre, ne laissant pas passer la lumière. Ce gaz se serait ensuite effondré par région pour former les premières étoiles et galaxies.
Générant beaucoup plus d’énergie que les étoiles actuelles, cette première génération d’étoiles, émettant notamment des rayonnements ultraviolets, aurait ionisé l’hydrogène neutre, une période appelée Réionisation de l’Univers. Privé de ses électrons, l’hydrogène ionisé a rendu le cosmos transparent, permettant ainsi à la lumière de se déplacer librement et de sortir l’Univers primordial de l’Âge sombre.
Depuis sa mise en service, le télescope spatial James Webb (JWST) a révélé de nouveaux détails sur les premières générations de galaxies et sur cette période de transition de l’univers primitif. Les données du télescope ont, par exemple, révélé que les galaxies massives existaient plus tôt qu’on le pensait. Il semble aussi y avoir une surdensité de galaxies émettrices de rayonnements ionisants par rapport à la distribution attendue d’hydrogène neutre dans le milieu intergalactique.
D’autre part, l’efficacité ionisante des galaxies primitives dépasse largement celle prédite en fonction de l’hydrogène neutre présent. Ces observations contradictoires ont donné lieu à des débats quant à la manière dont la Réionisation s’est réellement déroulée. Certaines hypothèses suggèrent une Réionisation qui a commencé plus tôt, tandis que d’autres avancent l’inverse.
Cependant, bien que l’existence de l’étape de Réionisation soit largement admise par les astronomes, sa description détaillée reste pour le moment théorique. Si les instruments de pointe comme JWST ont détecté un grand nombre d’objets cosmiques primitifs, l’étape exacte de transition de l’Âge sombre à la Réionisation n’a encore jamais été détectée par les radiotélescopes.
L’équipe de recherche dirigée par le Centre international de recherche en radioastronomie (ICRAR) de l’Université Curtin, en Australie, fourni de nouveaux indices sur cette période insaisissable, dans le cadre de deux nouvelles études publiées dans The Astrophysical Journal.
Un signal de réchauffement 800 millions d’années après le Big Bang
Pour effectuer leurs observations, les chercheurs ont utilisé le télescope Murchison Widefield Array (MWA) situé à Inyarrimanha Ilgari Bundara, l’observatoire de radioastronomie CSIRO Murchison dans le pays de Wajarri Yamaji, en Australie occidentale. Pour étudier la période de réionisation de l’univers primitif, l’équipe doit isoler un signal radio très ténu de 21 centimètres appelé « ligne de l’hydrogène ».
Ce signal devrait techniquement traverser les amas de matière diffusant les ondes plus courtes de lumière visible, transportant ainsi avec lui des informations sur l’Âge sombre de l’Univers. Pour le détecter, les astronomes doivent identifier et éliminer toutes les autres sources d’ondes radio.
« Ces signaux comprennent les émissions des étoiles et des galaxies proches, les interférences de l’atmosphère terrestre et même le bruit généré par le télescope lui-même. Ce n’est qu’après avoir soigneusement soustrait ces « signaux de premier plan » que les données restantes révéleront des signaux de l’époque de la réionisation », explique dans un communiqué de l’ICRAR, Ridhima Nunhokee, auteure principale de l’une des études.
L’équipe de Nunhokee a développé des techniques permettant de réduire les signaux parasites et obtenir un signal plus pur. Les chercheurs ont également intégré des dizaines d’années de données MWA et affirment être plus proches que jamais de détecter le signal de la ligne de l’hydrogène.



La quantité de données de haute qualité a permis aux chercheurs d’identifier un signal de réchauffement du milieu intergalactique 800 millions d’années après le Big Bang, une période qui correspond vraisemblablement au cœur de la Réionisation plutôt qu’à un stade antérieur. En effet, un Univers froid produirait un signal visible dans les nouvelles données et l’absence de celui-ci exclurait le « démarrage à froid » de la réionisation. Autrement dit, l’univers primitif aurait été préchauffé avant d’être totalement réionisé.
« À mesure que l’Univers évolue, le gaz entre les galaxies se dilate et se refroidit, nous nous attendons donc à ce qu’il soit très, très froid », explique Cathryn Trott, qui dirige le projet Epoch of Reionisation à l’ICRAR, auteure principale de la seconde étude. Or, les mesures de cette dernière confirment que l’univers primitif aurait au moins été légèrement réchauffé. Bien que ce taux de réchauffement ait été relativement faible, il exclurait la réionisation ultra-froide initialement prédite.
D’après les équipes, ce réchauffement serait probablement dû à l’énergie générée par les premières sources de rayonnement X, notamment les trous noirs et les étoiles primordiales. Les chercheurs estiment en outre que le signal de la Réionisation pourrait être détecté une fois les données suffisamment affinées et purifiées.