L’informatique quantique progresse plus vite que jamais, notamment depuis que certaines architectures ne nรฉcessitent plus des tempรฉratures proches du zรฉro absolu pour fonctionner, certains chercheurs ayant notamment dรฉclarรฉ รชtre sur la piste d’un modรจle d’ordinateur quantique fonctionnant ร tempรฉrature ambiante. Et plus rรฉcemment, voilร que le premier ordinateur quantique de bureau est proposรฉ par une start-up chinoise. Il s’appelle Gemini, et sa nouvelle version sera vendue ร moins de 5000 dollars selon l’entreprise.
La start-up innovante derriรจre ce projet est SpinQ Technology, basรฉe ร Shenzhen, en Chine. Ce nouveau modรจle grand public et de taille rรฉduite fait partie de sa gamme SpinQ, destinรฉe aux รฉcoles et ร la recherche. L’annรฉe derniรจre dรฉjร , elle avait mis en vente un ordinateur quantique ยซย de bureauย ยป pour environ 50’000 dollars. Cependant, en plus du prix trรจs contraignant, ce dernier pรจse 55 kg… Qualifier l’engin d’ordinateur de bureau est donc lรฉgรจrement tirรฉ par les cheveux.
Mais leur nouvel ordinateur quantique Gemini (la nouvelle version) est plus petit que jamais et surtout beaucoup moins cher. ยซ Cette version simplifiรฉe devrait รชtre commercialisรฉe au quatriรจme trimestre 2021, de sorte qu’elle puisse รชtre plus abordable pour la plupart des รฉcoles de la maternelle ร la 12e annรฉe dans le monde ยป, explique l’รฉquipe de recherche. Le prix de la machine contraste fortement avec celui des ordinateurs quantiques commerciaux actuels, qui peuvent coรปter environ 10 millions de dollars et traiter plus de 50 qubits. Les dรฉtails techniques du systรจme ont รฉtรฉ publiรฉs sur le serveur arXiv.
La rรฉsonance magnรฉtique nuclรฉaire pour un fonctionnement quantique simplifiรฉ
En revanche, et il fallait s’y attendre, Gemini est beaucoup moins puissant, capable de traiter seulement 2 qubits (un qubit รฉtant l’รฉquivalent quantique d’un bit d’ordinateur classique). Il repose sur une technologie entiรจrement diffรฉrente appelรฉe ยซย rรฉsonance magnรฉtique nuclรฉaireย ยป. Celle-ci fonctionne en piรฉgeant des molรฉcules spรฉcialement sรฉlectionnรฉes dans un champ magnรฉtique puissant, puis en les canalisant avec des impulsions de radiofrรฉquence pour manipuler les spins des atomes qu’elles contiennent.
Aprรจs chaque sรฉrie d’impulsions radio, les atomes se dรฉtendent et รฉmettent leurs propres signaux de radiofrรฉquence, qui rรฉvรจlent leur nouvel รฉtat. De cette faรงon, il est possible d’inverser le spin des atomes (ce qui รฉquivaut ร changer un 0 en 1 et inversement) et de faire interagir les spins des atomes voisins. Cette derniรจre รฉtape permet de simuler des opรฉrations mathรฉmatiques, et enfin d’enregistrer le rรฉsultat.

Le composรฉ au cลur du fonctionnement de la machine est le dimรฉthylphosphite, une molรฉcule tรฉtraรฉdrique composรฉe d’un atome de phosphore, d’un atome d’hydrogรจne, d’un oxygรจne et de deux groupes CH3O. Il se prรฉsente sous la forme d’un liquide incolore ร tempรฉrature ambiante. Le dimรฉthylphosphite est idรฉal, car les atomes de phosphore et d’hydrogรจne sont liรฉs l’un ร l’autre et sont suffisamment proches pour interagir tout en pouvant รชtre manipulรฉs indรฉpendamment.
Pour s’assurer que les signaux radio des atomes d’hydrogรจne et de phosphore sont suffisamment puissants pour รชtre captรฉs, un trรจs grand nombre de molรฉcules est nรฉcessaire, environ 1015. Cela nรฉcessite ร son tour quelques gouttes de liquide, placรฉes dans un petit ยซย flaconย ยป au milieu du puissant champ magnรฉtique.
Cette technique est bien comprise et est utilisรฉe depuis longtemps pour l’imagerie mรฉdicale. En effet, les premiers ordinateurs quantiques construits dans les annรฉes 1990 utilisaient exactement la mรชme approche. ร l’รฉpoque cependant, cette approche รฉtait coรปteuse, car les champs magnรฉtiques suffisamment puissants pour faire le travail ne pouvaient รชtre crรฉรฉs que par de puissants aimants supraconducteurs. Ces derniers devaient รชtre refroidis ร la tempรฉrature de l’hรฉlium liquide, une tรขche difficile qui nรฉcessite un รฉquipement coรปteux et encombrant.
Des aimants permanents ร la place des aimants supraconducteurs
Au lieu des aimants supraconducteurs, Geminiย exploite des aimants permanents. Suite aux derniรจres avancรฉes dans le domaine, ils peuvent produire des champs d’une force allant jusqu’ร un tesla, soit des dizaines de milliers de fois plus puissants que le champ terrestre. Pour l’informatique quantique, le champ produit doit รฉgalement รชtre trรจs rรฉgulier. L’รฉquipe utilise pour cela une technique appelรฉe ยซย shimmingย ยป qui gรฉnรจre un autre champ magnรฉtique capable d’annuler toute irrรฉgularitรฉ dans le champ de base, plus puissant. Le rรฉsultat est un champ magnรฉtique extrรชmement puissant et rรฉgulier.
Pour utiliser Gemini, il suffit de le connecter ร un ordinateur ordinaire avec un logiciel capable de la contrรดler, nommรฉ SPINQUASAR. Bien qu’il ne traite que 2 qubits, le dispositif est capable d’effectuer un certain nombre de calculs quantiques quintessenciels. Par exemple, il peut mettre en ลuvre une version de l’algorithme de Grover, qui permet d’effectuer des recherches dans une base de donnรฉes plus rapidement qu’un algorithme classique.
Pas plus performant qu’un ordinateur classique…
Cependant, si votre but est d’acquรฉrir cette machine afin d’รชtre en possession de l’ordinateur le plus puissant que vous n’ayez jamais eu, vous allez รชtre dรฉรงus… En effet, avec seulement 2 qubits, aucun des algorithmes qu’il peut exรฉcuter ne sera plus performant qu’un ordinateur classique. Pour la plupart des applications, les chercheurs admettent que Gemini n’arrive mรชme pas ร la cheville d’un ordinateur classique de derniรจre gรฉnรฉration… Mais l’objectif est ici de faire la dรฉmonstration du calcul quantique et de permettre aux รฉtudiants de l’essayer eux-mรชmes.
Prรฉcรฉdemment, l’รฉquipe de SpinQ affirme avoir expรฉdiรฉ son premier modรจle Gemini (la version pesant 55 kg) ร des institutions au Canada, ร Taรฏwan et en Chine. Mais ร 50’000 dollars l’unitรฉ, ces lieux doivent รชtre bien รฉquipรฉs. C’est pourquoi l’entreprise lancera plus tard cette annรฉe cette version moins chรจre basรฉe sur la mรชme plateforme. Actuellement, elle travaille รฉgalement sur un systรจme plus puissant qui pourra traiter 3 ou 4 qubits. De quoi rendre les applications de recherche plus intรฉressantes.
Cependant, les ordinateurs quantiques ยซย grand publicย ยป comme Gemini n’รฉgaleront jamais la puissance des ordinateurs quantiques de Google, IBM, Microsoft et d’autres gรฉants de l’informatique. L’un des inconvรฉnients majeurs de l’informatique quantique basรฉe sur la rรฉsonance magnรฉtique nuclรฉaire est qu’elle ne permet pas traiter plus d’une douzaine de qubits pour le moment. D’ailleurs, la question de savoir si ce type de calcul est vraiment quantique fait encore l’objet d’un dรฉbat.


