Des chercheurs sur la piste de l’informatique quantique à température ambiante

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Des scientifiques de l’armée américaine et du MIT annoncent que les circuits informatiques quantiques fonctionnant à température ambiante pourraient devenir une réalité d’ici une dizaine d’années environ. Si cela se concrétise, ce sera une avancée considérable pour les applications du domaine de l’informatique, des communications et de la télédétection.

Les systèmes quantiques actuels nécessitent d’être refroidis à des températures extrêmes pour garantir la stabilité des qubits sur lesquels ils reposent. Le Docteur Kurt Jacobs, physicien au sein du laboratoire de recherche de l’armée américaine, en collaboration avec le Docteur Mikkel Heuck et le Professeur Dirk Englund, du MIT, vient de démontrer la faisabilité d’une porte logique quantique, composée de circuits photoniques et de cristaux optiques, qui permettrait de s’affranchir des systèmes de refroidissement.

Une question d’états « indéterminés »

Les ordinateurs traditionnels fonctionnent avec des informations clairement déterminées, stockées dans des bits, chacun pouvant être activé ou désactivé (1 ou 0). Lorsqu’il reçoit une entrée codée en bits, un tel ordinateur apporte une réponse qui est également donnée en nombre de bits ; il peut traiter une entrée à la fois.

Le but de l’informatique quantique est d’augmenter encore la puissance et la rapidité de calcul, de manière à résoudre des problèmes mathématiques insolubles pour les ordinateurs traditionnels (des statistiques et des modélisations liées au changement climatique, aux recherches médicales ou à l’exploration spatiale, pourraient par exemple être obtenues en quelques minutes seulement !). Elle est basée sur des concepts de mécanique quantique, parmi lesquels l’intrication quantique et la superposition. L’intrication ou « enchevêtrement » quantique désigne un système de deux particules dont les états quantiques dépendent l’un de l’autre ; le principe de superposition désigne le fait qu’un même état quantique peut posséder plusieurs valeurs pour une certaine quantité observable.

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Ordinateur quantique basé sur des qubits supraconducteurs développé par IBM Research à Zürich, en Suisse. Les qubits de l’appareil présenté ici sont refroidis à moins de 1 °K à l’aide d’un réfrigérateur à dilution. Crédits : IBM Zurich Lab

Les ordinateurs quantiques stockent des informations dans des qubits, qui peuvent se trouver dans un état « étrange » (strange), non clairement défini, où ils peuvent être activés et désactivés en même temps. Cela permet à un tel ordinateur d’explorer les réponses à de nombreuses entrées en même temps. Bien qu’il ne puisse pas fournir toutes les réponses à la fois, il peut toutefois générer des relations entre ces réponses, ce qui lui permet de résoudre certains problèmes beaucoup plus rapidement qu’un ordinateur classique.

L’inconvénient des technologies quantiques réside dans la fragilité des états de qubits. De ce fait, ces technologies nécessitent un refroidissement important proche du zéro absolu (0 °K, soit -273,15 °C), ce qui les rend particulièrement encombrantes, énergivores et coûteuses. « Toute interaction qu’un qubit a avec quoi que ce soit d’autre dans son environnement commencera à déformer son état quantique », précise Jacobs. Les recherches qu’il mène avec son équipe visent ainsi à développer des circuits photoniques, qui seront capables de manipuler l’intrication requise pour les appareils quantiques à température ambiante.

Un système quantique basé sur des photons

Plusieurs recherches ont déjà été menées pour résoudre ce problème lié à l’instabilité des qubits, mais aucune solution n’a encore été trouvée. À ce jour, l’utilisation de circuits photoniques incorporant des cristaux optiques non linéaires apparaît comme la seule voie possible vers le développement de systèmes quantiques utilisables à température ambiante. Les circuits photoniques peuvent être vus comme des circuits électriques, à la différence qu’ils manipulent de la lumière et non des signaux électriques (des déplacements de photons eu lieu de déplacements d’électrons, en somme). « Par exemple, nous pouvons créer des canaux dans un matériau transparent, que les photons vont emprunter, un peu comme les signaux électriques voyagent le long des fils », explique Englund.

Contrairement aux systèmes quantiques qui utilisent des ions ou des atomes pour stocker des informations, les systèmes quantiques basés sur des photons n’ont pas besoin d’être refroidis en permanence. Cependant, les photons doivent toujours interagir avec d’autres photons pour effectuer des opérations logiques. C’est là que les cristaux optiques non linéaires entrent en jeu : les chercheurs peuvent créer des cavités dans les cristaux pour piéger temporairement les photons à l’intérieur.

Grâce à cette méthode, le système quantique peut établir deux états possibles différents pour les qubits : une cavité avec un photon (activé) et une cavité sans photon (désactivé). En d’autres termes, les chercheurs peuvent utiliser l’état indéterminé de la présence ou non d’un photon dans une cavité cristalline pour représenter un qubit. Ces qubits peuvent alors former des portes logiques, pouvant créer une intrication quantique entre elles. Cependant, cette méthode était jusqu’à présent purement théorique. Bien qu’elle soit extrêmement prometteuse, des doutes subsistaient quant à savoir si, en pratique, l’utilisation de cristaux optiques non linéaires débouche réellement sur des portes logiques.

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Le problème qui se posait est que si un photon voyage dans un canal, il s’accompagne d’un train d’ondes, un paquet contenant un nombre arbitraire d’ondes élémentaires, d’une certaine forme. En mécanique quantique, ce train d’ondes est interprété comme une onde de probabilité décrivant la position et la quantité de mouvement d’une particule dans un état donné. « Pour une porte quantique, les trains d’ondes de photons doivent rester les mêmes après le fonctionnement de la porte », explique Jacobs. Or, les non-linéarités déforment les trains d’ondes ; la question était de savoir s’il était possible de charger et d’émettre un train d’ondes sans distorsion.

Après avoir mis au point leur porte logique quantique, les chercheurs ont donc effectué de nombreuses simulations informatiques pour démontrer qu’elle pouvait, en théorie, fonctionner correctement. Cependant, la construction réelle d’une telle porte logique quantique nécessitera des améliorations significatives de la qualité de certains composants photoniques, selon les chercheurs. « Sur la base des progrès réalisés au cours de la dernière décennie, nous prévoyons qu’il faudra environ dix ans pour que les améliorations nécessaires soient réalisées », précise Heuck.

Source : Physical Review Letters, Mikkel Heuck et al.

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