Des biologistes ont accompli un exploit sans précédent après plus d’une décennie de recherche : la création du premier plan détaillé du splicéosome humain, l’une des structures moléculaires les plus complexes de la biologie humaine. Selon les chercheurs, cette carte précise pourrait permettre aux professionnels de la santé de localiser avec une précision inédite les erreurs d’épissage dans les cellules des patients et d’envisager des thérapies ciblées pour corriger ces anomalies
Dans le corps humain, chaque cellule a besoin d’instructions spécifiques de l’ADN, qui sont ensuite retranscrites en ARN. Ce dernier subit alors un processus de révision appelé « épissage ». En d’autres termes, l’épissage consiste à supprimer les segments non codants d’un ARN messager, appelés introns, pour obtenir un ARNm mature. Les séquences codantes restantes, les exons, sont ensuite regroupées pour constituer une matrice essentielle à la fabrication de protéines. L’épissage alternatif, pour sa part, accroît la diversité du protéome eucaryote en permettant la formation de plusieurs isoformes d’ARNm à partir d’un même pré-ARNm.
Bien que le génome humain compte environ 20 000 gènes codant pour des protéines, l’épissage alternatif permet de générer jusqu’à cinq fois plus d’isoformes protéiques. Cependant, des erreurs dans ce processus peuvent conduire à un large éventail de maladies, notamment des affections neurodégénératives, des troubles génétiques et plusieurs types de cancers.
Le splicéosome joue un rôle central dans cette édition de l’ARN. Cet ensemble de 150 protéines et cinq molécules d’ARN orchestre la totalité du processus. En modifiant les messages génétiques transcrits à partir des instructions de l’ADN, les cellules peuvent générer différentes versions de protéines. Pourtant, le rôle exact de chaque protéine et de chaque petite molécule d’ARN demeure en grande partie mystérieux. Le nombre élevé de composants impliqués dans le splicéosome en fait un champ encore largement inexploré en biologie humaine. C’est ce défi qui a motivé l’équipe de recherche du Centre de régulation génomique (CRG).
Examen approfondi du rôle des composants du splicéosome
« Les médicaments qui corrigent les erreurs d’épissage ont transformé le traitement de certaines maladies rares comme l’amyotrophie spinale. Ce modèle promet d’étendre ce succès à d’autres pathologies et de généraliser ces traitements », a déclaré Juan Valcárcel, professeur de recherche à l’Institut Catalan de Recerca i Estudis Avançats (ICREA) et chercheur au CRG. Dans le cadre de leur étude, publiée dans la revue Science, les scientifiques ont précisé qu’ils ont inhibé, un par un, l’expression de 305 gènes codants associés au splicéosome (SF) dans des cellules cancéreuses humaines pour observer les effets de l’épissage à l’échelle du génome.
« Nous rapportons des analyses transcriptomiques à grande échelle sur l’inactivation systématique de 305 composants et régulateurs du splicéosome dans des cellules cancéreuses humaines, et la reconstruction de réseaux de facteurs d’épissage fonctionnels régissant diverses classes de décisions d’épissage alternatives », ont écrit les chercheurs dans leur étude.
Leurs recherches ont mis en lumière le fait que les composants du splicéosome possédaient des fonctions distinctes, ce qui explique pourquoi, en l’absence de connaissances sur ces fonctions, de nombreux composants n’ont pas été pris en compte dans le développement de médicaments. « Collectivement, nos résultats démontrent comment l’interrogation systématique à grande échelle du splicéosome et de ses facteurs régulateurs, ainsi que les approches de reconstruction de réseaux fonctionnels, peuvent révéler des informations mécanistiques sur les activités régulatrices des SF dans divers contextes biologiques », ont-ils souligné.
L’équipe a également découvert que les protéines situées au cœur du splicéosome jouaient un rôle déterminant dans la manière dont les messages génétiques étaient traités. Selon les explications des chercheurs, si un composant sélectionne l’intron à supprimer, un autre veille à ce que les découpes soient effectuées précisément au bon endroit dans la séquence d’ARN, tandis qu’un autre s’assure que les autres composants n’interviennent pas trop rapidement.
Cependant, la découverte la plus marquante réalisée par l’équipe est qu’une simple perturbation d’un composant peut déstabiliser l’ensemble du réseau. En effet, lors de l’expérience, l’équipe a manipulé le composant SF3B1 du splicéosome, ciblé dans la production de médicaments anticancéreux. Les scientifiques ont constaté que cette modification déclenchait une série d’événements affectant près d’un tiers du réseau, provoquant une succession de défaillances qui altéraient la capacité de la cellule à s’auto-entretenir.
« Les cellules cancéreuses présentent tellement d’altérations au niveau du splicéosome qu’elles frôlent déjà la limite de ce qui est biologiquement plausible. Leur dépendance à un réseau d’épissage hautement interconnecté constitue un talon d’Achille potentiel que nous pouvons exploiter pour concevoir de nouvelles thérapies, et notre modèle offre un moyen de découvrir ces vulnérabilités », a déclaré Valcárcel. Selon l’équipe, cette découverte permet une meilleure compréhension du splicéosome et ouvre la voie à « un traitement ciblé de l’ARN pour des interventions thérapeutiques dans les maladies associées à la dysrégulation de l’épissage ».
« Nous entrons dans une ère où il est possible de traiter les maladies au niveau transcriptionnel, en élaborant des médicaments modificateurs de la maladie plutôt que de se contenter d’en traiter les symptômes. Le modèle que nous avons développé ouvre la voie à de nouvelles approches thérapeutiques entièrement novatrices. Ce n’est qu’une question de temps », conclut Malgorzata Rogalska, co-auteure de l’étude.