C’est une première mondiale : un rein de porc génétiquement modifié a été transplanté chez un humain — une patiente en état de mort cérébrale — sans entraîner de réaction immédiate de rejet. L’organe a fonctionné normalement pendant les trois jours qu’a duré de l’expérience. L’opération a été effectuée par des chirurgiens du centre médical NYU Langone Health. Ces résultats encourageants pourraient ouvrir la voie à des essais cliniques au cours des deux prochaines années, chez des patients atteints d’insuffisance rénale terminale.
Aux États-Unis, près de 107 000 personnes attendent actuellement une greffe d’organe, dont plus de 90 000 attendent un rein, selon le United Network for Organ Sharing ; les temps d’attente pour un rein sont en moyenne de trois à cinq ans. En France, près de 3500 greffes de rein sont pratiquées chaque année (c’est la transplantation la plus fréquente) ; près de la moitié sont dues à un diabète, selon le professeur Gilbert Deray, chef du service de néphrologie à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Environ 15 000 Français sont toujours en attente d’une greffe.
Pour pallier la pénurie d’organes, les chercheurs travaillent depuis des décennies sur la possibilité d’utiliser des organes d’animaux. Le principal défi à relever est d’empêcher le système immunitaire humain de rejeter immédiatement ces organes étrangers. L’équipe du Dr Robert Montgomery, qui a dirigé cette expérience, a entrepris d’éliminer ce problème en modifiant génétiquement un porc, de sorte que ses tissus ne contiennent plus aucune molécule connue pour provoquer une réaction de rejet.
Un gène éliminé pour réduire les risques de rejet
Montgomery et ses collaborateurs suspectaient en particulier un gène codant pour un glucide, qui a déjà été identifié comme étant potentiellement à l’origine du rejet — une molécule de sucre appelée alpha-gal (pour galactose-alpha-1,3-galactose). Ce glucide se trouve dans la plupart des membranes cellulaires des mammifères, sauf chez les primates (y compris les humains). L’alpha-gal joue également un rôle majeur dans l’allergie à la viande.
Le porc, baptisé GalSafe, a donc été génétiquement modifié de manière à supprimer ce glucide problématique. Cette lignée spécifique de porcs domestiques a été développée par la société Revivicor Inc., filiale du groupe United Therapeutics Corporation, puis a été approuvée par la Food and Drug Administration en décembre 2020, pour être utilisée à des fins alimentaires (pour les personnes allergiques à la viande) ou comme source potentielle de produits thérapeutiques.
Montgomery précise que ses collègues et lui ont travaillé avec des éthiciens médicaux, des experts juridiques et religieux, afin d’examiner le concept avant de demander à une famille un accès temporaire à l’une de ses proches se trouvant en état de mort cérébrale (et présentant des signes de dysfonctionnement rénal). À l’issue de l’expérience, la patiente a été déconnectée de l’assistance respiratoire qui la maintenait en vie.
Le rein greffé a été maintenu à l’extérieur du corps, de manière à ce que les chercheurs puissent aisément l’examiner, et ce, pendant trois jours. Les chirurgiens ont également transplanté chez la patiente le thymus du porc — un petit organe qui produit des cellules immunitaires — pour réduire encore les risques que son organisme rejette le rein.
Contrairement à ce qui est habituellement observé lorsqu’un rein de porc non modifié est transplanté chez un primate non humain, l’équipe n’a noté aucun signe de rejet précoce — qui apparaît généralement là où le sang humain s’interface avec les tissus animaux. L’organe semblait fonctionner tout à fait normalement, produisant la quantité d’urine attendue d’un rein humain transplanté, précisent les chercheurs. En outre, le taux de créatinine du receveur (élevé en cas de dysfonctionnement rénal) est revenu à la normale après la greffe.
Des essais cliniques d’ici un ou deux ans
Cette expérience n’a porté que sur une seule transplantation, et le rein n’a été laissé en place que pendant trois jours (durée limitée par la FDA). Tout essai futur est donc susceptible de mettre en évidence de nouveaux obstacles qui devront être surmontés, a souligné Montgomery. Le rejet de rein peut survenir longtemps après une greffe « même lorsque vous n’essayez pas de franchir les barrières des espèces », de sorte que la durabilité des greffes de porc chez l’Homme devra être soigneusement évaluée, a déclaré le Dr David Klassen, médecin-chef à l’United Network for Organ Sharing.
Néanmoins, cette première réussite est véritablement porteuse d’espoir pour tous les patients souffrant d’insuffisance rénale et le spécialiste n’exclut pas la possibilité de mener des essais cliniques d’ici un an ou deux, pour tester cette approche chez des patients dont le pronostic vital, même sous dialyse, est faible.
Si ces essais devenaient concluants, cette technique pourrait être considérée comme une solution à court terme pour les patients gravement malades jusqu’à ce qu’un rein humain soit disponible, ou même en tant que greffe permanente. « Pour beaucoup de ces personnes, le taux de mortalité est aussi élevé que pour certains cancers, et nous ne réfléchissons pas à deux fois avant d’utiliser de nouveaux médicaments et de procéder à de nouveaux essais (chez les patients atteints de cancer) lorsque cela peut leur donner quelques mois de vie en plus », souligne Montgomery.
D’autres chercheurs se demandent par ailleurs si les porcs GalSafe pourraient servir de réservoirs pour d’autres tissus, tels que des valves cardiaques ou même de la peau. Mais avant d’être utilisés en médecine humaine, ces produits de xénotransplantation devront obtenir l’approbation de la FDA. « Il est important de noter que ces porcs n’ont pas été évalués pour une utilisation comme produits de xénotransplantation pour la transplantation ou l’implantation chez des sujets humains », précisait l’agence dans un communiqué fin 2020.