De nouvelles simulations suggèrent que les premiers champs magnétiques imprégnant l’Univers étaient beaucoup plus faibles qu’on ne le pensait, comparables notamment à ceux générés par les neurones humains – soit des milliards de fois inférieurs à celui d’un simple aimant pour réfrigérateur. Ces vestiges subsistent encore aujourd’hui dans la toile cosmique et auraient été hérités d’événements survenus lors de la naissance de l’Univers.
Le magnétisme est une force générée par le mouvement des charges électriques. Au cours des premiers jours suivant le Big Bang, il était produit par les particules chargées électriquement qui emplissaient alors le cosmos et entraient en collision les unes avec les autres. Les astronomes soupçonnent depuis longtemps que les champs magnétiques primordiaux étaient nettement plus ténus que ceux générés aujourd’hui par les objets cosmiques comme les galaxies et les étoiles.
Mais malgré cette faiblesse, ces champs magnétiques subsistent encore aujourd’hui à des niveaux mesurables dans la toile cosmique, gigantesque structure filamenteuse imprégnant l’Univers et reliant les galaxies entre elles, un peu comme une toile d’araignée tridimensionnelle. Cette toile n’a commencé à être étudiée que relativement récemment et de nombreuses questions demeurent quant à sa structure et à sa véritable nature.
Parmi ces questions figure la raison pour laquelle elle semble posséder son propre champ magnétique. Ce champ est présent non seulement près des galaxies, comme l’on pouvait s’y attendre, mais également dans les régions lointaines et quasiment vides qui constituent la majeure partie de la toile – un paradoxe que les astronomes tentent d’expliquer depuis des années.
Les chercheurs de l’École internationale d’études avancées de Trieste (SISSA), en Italie, ont émis l’hypothèse selon laquelle ce champ magnétique pourrait avoir été hérité d’événements survenus lors de la naissance de l’Univers et que le magnétisme était essentiellement lié aux processus physiques de l’univers primordial. Les filaments de la toile pourraient par exemple avoir été magnétisés à la suite d’une inflation cosmique survenue immédiatement après le Big Bang ou lors de transitions de phase ultérieures.
« C’est ce que nous avons cherché à déterminer par nos travaux », expliquent dans un communiqué Mak Pavičević, doctorant à la SISSA et auteur principal de la recherche, et Matteo Viel, son directeur de thèse et co-auteur de l’étude. « Nous souhaitions également évaluer l’ampleur de ces champs magnétiques primordiaux grâce à nos investigations, en établissant une limite supérieure et en tentant de mesurer leur intensité », ajoutent-ils. Des chercheurs des universités de Hertfordshire, de Cambridge, de Nottingham, de Stanford et de Potsdam ont également participé à la recherche.
Des milliards de fois plus faibles qu’un aimant à frigo
L’équipe a effectué plus de 250 000 simulations informatiques pour explorer leur hypothèse et mieux comprendre l’influence des champs magnétiques primordiaux. Selon les chercheurs, il s’agirait des modélisations les plus réalistes et les plus complètes à ce jour des effets de ce champ magnétique sur la toile cosmique. « Nous nous appuyons sur un ensemble de plus d’un quart de million de modèles de flux obtenus en faisant varier les historiques thermiques et de réionisation, ainsi que les paramètres cosmologiques », précisent-ils dans leur étude publiée dans Physical Review Letters. Les résultats des simulations ont ensuite été comparés à des données d’observation.
L’équipe a obtenu une valeur beaucoup plus faible que précédemment estimée pour les champs magnétiques primordiaux, établissant ainsi une nouvelle limite supérieure. Cette limite équivaudrait à 0,00000000002 gauss, soit 0,02 nanogauss, ce qui est comparable à ceux générés par l’activité électrique des neurones humains. À titre de comparaison, un petit aimant pour frigo en génère environ 100 gauss.
« En comparant ces simulations aux données d’observation, nous avons constaté que nos hypothèses étaient correctes », expliquent Pavičević et Viel. « Lorsque l’influence des champs primordiaux est prise en compte, la toile cosmique apparaît différente et plus conforme aux données observées. En particulier, nous pouvons affirmer qu’un modèle standard de l’Univers avec un champ magnétique très faible, d’environ 0,2 nanogauss, correspond bien mieux aux données expérimentales », indiquent-ils.
Il faut toutefois garder à l’esprit que ces résultats demeurent théoriques, puisqu’il n’existe actuellement aucune technique permettant d’observer directement les champs magnétiques primordiaux. Néanmoins, les chercheurs affirment qu’ils concordent avec les récentes observations du fond diffus cosmologique, le rayonnement résiduel du Big Bang. Ils espèrent en outre que les futures observations du télescope spatial James Webb permettront d’obtenir de nouvelles données pour affiner leurs simulations et éprouver davantage leur hypothèse.
« Non seulement ces nouvelles limites nous aideront à comprendre l’impact des champs magnétiques primordiaux sur l’évolution du cosmos, mais elles ont également des implications importantes pour d’autres modèles théoriques qui expliquent la formation des structures », concluent Pavičević et Viel.