Des chercheurs de Johns Hopkins Medicine rapportent que la psilocybine, une substance que l’on trouve dans les champignons hallucinogènes, administrée en parallèle d’une psychothérapie de soutien, produit une réduction rapide et importante des symptômes dépressifs.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la dépression touche plus de 264 millions de personnes de tous âges dans le monde. Quand elle est d’intensité modérée ou sévère et qu’elle perdure, la dépression nuit gravement à la vie personnelle et professionnelle et entraîne une grande souffrance. Dans le pire des cas, elle peut conduire au suicide — un geste à l’origine de 800’000 décès chaque année.
Un effet reconnu contre l’anxiété
La psilocybine fut isolée pour la première fois en 1958, par le chimiste suisse Albert Hofmann, à partir du Psilocybe mexicana, un célèbre champignon hallucinogène utilisé au Mexique lors de rituels. Cette substance produit des hallucinations visuelles et auditives et de profonds changements de conscience quelques heures après l’ingestion. En 2016, les chercheurs de Johns Hopkins Medicine ont rapporté pour la première fois que la psilocybine, combinée à un soutien psychologique, soulageait considérablement l’anxiété existentielle et la dépression chez les patients avec un diagnostic de cancer potentiellement mortel.
Les résultats de leur nouvelle étude suggèrent que la psilocybine peut être efficace pour traiter un éventail beaucoup plus large de patients : elle soulagerait les personnes souffrant de dépression majeure, avec une efficacité bien supérieure aux traitements actuellement disponibles. « L’ampleur de l’effet que nous avons constaté était environ quatre fois plus grande que ce que les essais cliniques ont montré pour les antidépresseurs traditionnels », précise Alan Davis, professeur adjoint de psychiatrie et de sciences du comportement à l’école de médecine de l’université Johns Hopkins et auteur principal de l’étude.
Le spécialiste ajoute que la plupart des traitements actuels contre la dépression entraînent des effets secondaires indésirables. De plus, des semaines, voire des mois, sont généralement nécessaires pour obtenir un résultat. Si les effets positifs de la psilocybine se confirment, cela pourrait considérablement améliorer la vie des personnes souffrant de troubles dépressifs. En attendant, les premiers essais réalisés sur 24 participants, suivis pendant quatre semaines, montrent des résultats très encourageants.
Il existe plusieurs types de troubles dépressifs majeurs, entraînant tout autant de réactions différentes aux traitements. De ce fait, Roland Griffiths — professeur de neurosciences, de psychiatrie et de sciences du comportement et directeur du Center for Psychedelic and Consciousness Research de la Johns Hopkins University School of Medicine — souligne qu’il a été surpris que le traitement à la psilocybine ait été aussi efficace chez la plupart des participants à l’étude.
Les 24 personnes retenues pour cette étude, âgées de 39 ans en moyenne, présentaient toutes des antécédents de dépression à long terme ; la plupart souffraient de symptômes persistants depuis environ deux ans avant de participer à l’étude. Avec l’aide de leur médecin personnel, tous ont réduit leur prise d’antidépresseurs au préalable, pour tester en toute sécurité ce traitement expérimental. Treize participants ont reçu le traitement à la psilocybine immédiatement après leur recrutement et après quelques séances de préparation ; les onze restants ont bénéficié de la même préparation et du même traitement après un délai de huit semaines.
Le traitement en question consistait à administrer deux doses de psilocybine, à une semaine d’intervalle. Chaque séance a duré environ cinq heures ; au cours de ces séances, réalisées en présence d’un médecin, les participants ont été invités à s’allonger sur un canapé, dans un environnement semblable à un salon. Pour améliorer leur réflexion intérieure, ils ont été équipés de lunettes et d’écouteurs diffusant de la musique.
Une amélioration importante et durable de l’humeur
Pour évaluer leur état psychique, les participants disposaient d’une grille d’évaluation, connue sous le nom d’échelle de dépression de Hamilton (notée GRID-HAMD) ; il s’agit d’un questionnaire à choix multiples que les praticiens utilisent pour évaluer la sévérité des dépressions de leurs patients. Ils ont dû renseigner ce questionnaire au moment de leur inscription, puis à une et quatre semaines après l’issue du traitement. Selon cette échelle, un score de 24 ou plus indique une dépression sévère ; 17-23 correspond à une dépression modérée, 8-16 correspond à une dépression légère et 7 ou moins signifie que le patient ne souffre d’aucune dépression.
Au moment de leur inscription, les participants avaient un score GRID-HAMD proche de 23 en moyenne. En revanche, une semaine, puis quatre semaines après la fin du traitement, le score moyen avoisinait le 8 ! À noter que les onze participants ayant reçu le traitement en différé n’ont montré aucun signe d’amélioration des symptômes avant de recevoir de la psilocybine.
Une semaine après la fin du traitement, le score GRID-HAMD a diminué de plus de moitié chez 67% des participants. À la quatrième semaine de suivi post-traitement, le chiffre grimpe à 71%. Dans l’ensemble, quatre semaines après le traitement, 54% des participants ont été considérés en rémission, ce qui signifie qu’ils ne pouvaient plus être qualifiés de dépressifs. Pour les chercheurs qui ont dirigé cette étude, ces résultats sont exceptionnels et montrent que la psilocybine devrait être approuvée par les autorités sanitaires pour traiter la dépression.
Comment expliquer l’incroyable et surtout durable efficacité de cette substance ? C’est ce que vont tâcher de découvrir les chercheurs à présent. En attendant, ils vont continuer de suivre les participants de cette étude pendant une année, afin d’estimer la durée des effets antidépresseurs de la psilocybine. Bien qu’elle ait été accueillie au départ avec scepticisme et inquiétude de la part de certains scientifiques, l’étude des substances psychédéliques pourrait ouvrir la voie à des traitements innovants pour améliorer l’humeur et l’esprit. Aujourd’hui, plusieurs laboratoires de recherche et de startups travaillent activement sur le sujet, afin de développer des formes commercialisables de psilocybine et substances assimilées.