Selon le modèle cosmologique standard, l’Univers est en expansion accélérée sous l’effet d’une énergie de nature inconnue appelée énergie sombre. Plusieurs traceurs cosmiques, dont les supernovas, ont été utilisés par les cosmologistes pour reconstituer l’histoire de l’expansion de l’Univers. En utilisant des quasars pour étudier la dynamique du cosmos, des chercheurs ont potentiellement mis en évidence une faille dans le modèle standard de la cosmologie, concernant la densité de l’énergie sombre et plus généralement l’expansion de l’Univers.
Guido Risaliti de l’Università di Firenze (Italie), et Elisabeta Lusso de l’Université de Durham (Royaume-Uni), ont utilisé les quasars pour reconstituer l’histoire de l’évolution de l’Univers jusqu’à il y a 12 milliards d’années. Les quasars sont les noyaux des galaxies où un trou noir supermassif actif puise dans la matière de son environnement à une vitesse très rapide, et brille à travers le spectre électromagnétique.
Lorsque la matière tombe vers le trou noir, elle forme un disque tourbillonnant qui émet une lumière visible et ultraviolette. Cette lumière, à son tour, réchauffe les électrons à proximité, générant des rayons X.
Il y a trois ans, Guido et Elisabeta ont compris qu’une relation bien connue entre la luminosité ultraviolette et la luminosité des rayons X pouvait être utilisée pour estimer la distance à ces sources — ce qui est notoirement délicat en astronomie — et, en fin de compte, pour sonder l’histoire de l’expansion de l’Univers.
Étudier l’évolution de l’Univers grâce aux chandelles standards
Les sources astronomiques dont les propriétés nous permettent de mesurer leurs distances sont appelées « chandelles standard ». La classe la plus remarquable, connue sous le nom de « supernova de type Ia », consiste en la disparition spectaculaire d’étoiles naines blanches après avoir absorbé la matière d’une étoile compagnon, générant des explosions d’une luminosité prévisible, permettant ainsi aux astronomes de déterminer leur distance. Les observations de ces supernovas à la fin des années 90 ont révélé l’expansion accélérée de l’Univers au cours des derniers milliards d’années.
« L’utilisation de quasars en tant que chandelles standards offre un grand potentiel, car nous pouvons les observer à des distances beaucoup plus éloignées de nous que les supernovas de type la, et les utiliser pour sonder ainsi des époques bien plus anciennes de l’histoire du cosmos » explique Elisabeta.
Avec un échantillon considérable de quasars, les astronomes ont maintenant mis leur méthode en pratique et les résultats sont intrigants. En fouillant dans les archives de la mission XMM-Newton, ils ont collecté des données de rayons X pour plus de 7000 quasars, en les associant à des observations ultraviolettes issues du Sloan Digital Sky Survey au sol.
Ils ont également utilisé un nouvel ensemble de données, spécialement obtenues avec XMM-Newton en 2017 pour examiner des quasars très éloignés, tels qu’ils étaient à l’époque où l’Univers n’avait que deux milliards d’années environ. Enfin, ils ont complété les données avec un petit nombre de quasars encore plus distants, ainsi qu’avec quelques-uns relativement proches, observés respectivement avec les observatoires de rayons X Chandra et Swift de la NASA.
« Un échantillon aussi volumineux nous a permis d’examiner de manière minutieuse la relation entre les rayons X et les émissions ultraviolettes des quasars, ce qui a grandement affiné notre technique d’évaluation de la distance » déclare Guido.
Des quasars pour reconstituer précisément l’histoire du cosmos
Les nouvelles observations de quasars distants par XMM-Newton sont si bonnes que l’équipe a même identifié deux groupes différents : 70% des sources brillent sous des rayons X de basse énergie, tandis que les 30% restantes émettent de moins grandes quantités de rayons X caractérisées par des énergies plus élevées. Pour l’analyse ultérieure, ils ont uniquement conservé le groupe de sources précédent, dans lequel la relation entre les rayons X et les émissions ultraviolettes apparaît plus claire.
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« Il est assez remarquable que nous puissions discerner un tel niveau de détail dans des sources si éloignées de nous que leur lumière voyage depuis plus de dix milliards d’années avant de nous parvenir » indique Norbert Schartel, responsable scientifique du projet XMM-Newton à l’ESA.
Après avoir parcouru toutes les données et ramené l’échantillon à environ 1600 quasars, les astronomes se sont retrouvés avec de meilleures observations, ce qui a permis d’estimer avec précision la distance qui les séparaient de ces sources qu’ils pourraient utiliser pour étudier l’évolution de l’Univers.
« Lorsque nous combinons l’échantillon de quasars, qui couvre près de 12 milliards d’années d’histoire cosmique, avec l’échantillon plus local de supernovas de type Ia, couvrant environ huit milliards d’années, nous obtenons des résultats similaires dans les périodes qui se chevauchent » explique Elisabeta. « Cependant, dans les phases antérieures que nous ne pouvons sonder qu’avec des quasars, nous constatons un décalage entre l’évolution observée de l’Univers et ce que nous prédirions selon le modèle cosmologique standard ».
Discordance entre théorie et observation : une densité de l’énergie noire potentiellement inconstante
En examinant cette période de l’histoire cosmique jusque-là peu explorée à l’aide de quasars, les astronomes ont révélé une tension possible dans le modèle standard de la cosmologie, qui pourrait nécessiter l’ajout de paramètres supplémentaires pour réconcilier les données avec la théorie. « Une des solutions possibles serait d’invoquer une énergie noire en évolution, avec une densité qui augmente avec le temps » explique Guido. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Astronomy.
Ce modèle particulier permettrait également d’atténuer une autre tension qui préoccupe dernièrement les cosmologistes à propos de la constante de Hubble — le taux d’expansion cosmique actuel. Cette différence a été constatée entre les estimations de la constante de Hubble dans l’univers local, basées sur les données de supernovas — et, indépendamment, sur les amas de galaxies — et celles basées sur les observations de Planck sur le fond cosmique hyperfréquence au début de l’univers.
« Ce modèle est très intéressant car il pourrait résoudre deux énigmes à la fois, mais un long travail nous attend encore et nous devrons examiner beaucoup plus de modèles avant de pouvoir résoudre ces problèmes » ajoute Guido.
L’équipe est impatiente d’observer encore plus de quasars à l’avenir, pour affiner davantage les résultats. La mission Euclid de l’ESA, dont le lancement est prévu pour 2022, explorera également les dix milliards d’années d’expansion cosmique et étudiera la nature de l’énergie noire.
« C’est une période intéressante pour explorer l’histoire de notre univers, et c’est excitant que XMM-Newton puisse y contribuer en examinant une époque cosmique jusqu’à présent inexplorée » conclut Norbert.