Des chercheurs ont repéré une galaxie primitive contenant une quinzaine d’amas de formation d’étoiles disposés comme une grappe de raisin, formée environ 930 millions d’années après le Big Bang. Alors que les précédentes observations suggéraient une structure en disque lisse pour cette galaxie – à juste titre surnommée « Raisins cosmiques » –, les télescopes à haute résolution ont mis en évidence une configuration jusqu’alors inconnue dans l’univers primitif. Cette observation correspond à l’image de la galaxie telle qu’elle apparaissait il y a plus de 13 milliards d’années, en raison du temps que la lumière a mis à nous parvenir.
Les galaxies primitives se sont formées par le biais d’agglomérations de matière noire et de gaz qui se sont effondrées sur elles-mêmes pour évoluer en structures dynamiques. On estime qu’elles sont apparues quelques centaines de millions d’années après le Big Bang et qu’elles étaient beaucoup plus petites que les galaxies actuelles. Des observations d’échantillons datant de 1,4 milliard d’années après le Big Bang suggèrent que leurs disques de rotation étaient relativement lisses et uniformes.
Cette uniformité apparente laisse penser à une évolution dynamique rapide. Toutefois, l’étude de ce mécanisme d’évolution suppose l’observation de galaxies très jeunes, ce qui a longtemps été freiné par la résolution limitée des instruments. Dans une étude récente publiée dans la revue Nature Astronomy, un groupe international d’astronomes a combiné la puissance du télescope spatial James Webb et du Grand Réseau Millimétrique/Submillimétrique de l’Atacama (ALMA) avec l’effet d’une lentille gravitationnelle pour examiner avec un niveau de détail inédit la structure interne de la galaxie des Raisins cosmiques.
« Cet objet est connu pour être l’une des galaxies lointaines les plus fortement focalisées par lentille gravitationnelle jamais découvertes », explique dans un communiqué de l’observatoire McDonald de l’Université du Texas à Austin (UT Austin), Seiji Fujimoto, de l’Université de Toronto, auteur principal de l’étude. « Grâce à ce puissant grossissement naturel, combiné aux observations de certains des télescopes les plus avancés au monde, nous avons pu étudier la structure interne d’une galaxie lointaine avec une sensibilité et une résolution sans précédent », poursuit-il.

Des détails structurels jamais vus dans l’univers primitif
Les lentilles gravitationnelles sont provoquées par la présence d’un objet cosmique extrêmement massif (comme une galaxie) situé entre une source lumineuse en arrière-plan et l’observateur. La gravité de l’objet massif déforme l’espace-temps environnant, un peu comme une masse au centre d’un trampoline, ce qui dévie la lumière de l’objet situé derrière et amplifie son image, à la manière d’une loupe géante.
L’équipe de Fujimoto a utilisé la galaxie RXCJ0600-2007 comme lentille gravitationnelle pour observer les Raisins cosmiques avec JWST et ALMA. L’effet loupe a permis d’examiner des détails de l’ordre de 10 parsecs de diamètre (environ 30 années-lumière) à une distance de plus de 13 milliards d’années-lumière. Au total, plus de cent heures d’observation ont été nécessaires pour révéler la structure interne de cette galaxie.
Alors que les observations du télescope spatial Hubble indiquaient un disque de rotation relativement lisse, les nouvelles données révèlent une organisation beaucoup plus complexe : une concentration de noyaux denses et compacts de gaz, probablement des pouponnières d’étoiles. Ces amas, mesurant chacun entre 10 et 30 parsecs de diamètre, sont particulièrement lumineux et émettent près de 70 % du rayonnement ultraviolet de la galaxie.

Une nouvelle perspective sur l’évolution des galaxies
Selon les astronomes, la densité des amas de formation d’étoiles des Raisins cosmiques atteint les 100 000 masses solaires par parsec cube, comparable à celle observée aujourd’hui dans les galaxies à sursauts d’étoiles intenses. Cela suggère que les processus de formation stellaire dans l’univers primitif étaient similaires à ceux de l’univers actuel.
Pourtant, les simulations numériques de galaxies primitives ne prédisent généralement pas un nombre aussi élevé d’amas stellaires dans un disque de rotation, aussi peu de temps après la naissance de l’Univers. Ce constat laisse penser que les modèles théoriques comportent des lacunes sur la manière dont la matière s’effondre pour former des étoiles dans les conditions extrêmes de cette époque.
Les Raisins cosmiques constituent par ailleurs le premier lien direct établi entre la structure interne à petite échelle d’une galaxie et sa rotation à grande échelle, si tôt après le Big Bang. Cela indiquerait que certaines galaxies se sont assemblées en systèmes organisés et en rotation bien plus tôt qu’on ne le supposait, alors que la plupart des modèles privilégient l’hypothèse d’une organisation chaotique pour des systèmes aussi jeunes.
« Nos observations montrent que la lumière des jeunes étoiles de certaines galaxies précoces est dominée par plusieurs amas massifs, denses et compacts, plutôt que par une distribution uniforme d’étoiles », précise Mike Boylan-Kolchin, co-auteur de l’étude et professeur d’astronomie à l’UT Austin.
Par ailleurs, le taux de formation stellaire, la masse, la taille et la composition chimique de cette galaxie indiquent qu’elle appartient à la « séquence principale ». Elle ne constitue donc pas une exception et pourrait représenter un type courant dans l’univers primitif. Autrement dit, d’autres galaxies à l’apparence lisse pourraient dissimuler des sous-structures similaires, invisibles jusqu’ici en raison des limites de résolution des instruments précédents. De nouvelles observations seront nécessaires pour confirmer cette hypothèse.