Les scientifiques cherchent depuis des décennies à contrer les effets dévastateurs du vieillissement sur nos capacités cérébrales, en plus des conséquences sur le reste du corps. Sans compter que les maladies neurodégénératives sont en augmentation avec la population mondiale avançant en âge. L’environnement immédiat de nos cellules nerveuses est, depuis quelque temps, étudié de près pour tenter d’en comprendre les mécanismes. Récemment, une équipe de chercheurs américains a identifié une protéine dans le liquide céphalo-rachidien qui stimulerait les cellules afin de maintenir leur fonction cérébrale. Elle pourrait conduire à de futurs traitements contre les maladies neurodégénératives.
Le vieillissement et le déclin cognitif lié à l’âge affectent jusqu’à un quart des adultes de plus de 60 ans. Une alimentation saine et une activité physique régulière peuvent aider à prévenir ce déclin, mais il n’existe à ce jour aucun traitement pour l’inverser.
Une compréhension récente de la façon dont l’environnement systémique façonne le cerveau tout au long de la vie, a conduit à de nombreuses stratégies d’intervention pour ralentir le vieillissement cérébral. Cette approche systémique est utilisée afin d’appréhender le cerveau dans son environnement, son fonctionnement, et ses mécanismes.
Dans cette perspective, le liquide céphalo-rachidien (LCR) constitue l’environnement immédiat des cellules cérébrales. Ce liquide baigne le tissu cérébral et la moelle épinière de tous les animaux vertébrés, leur fournissant des composés nourrissants. Il est essentiel au développement normal du cerveau. Les médecins l’utilisent fréquemment comme indicateur de la santé du cerveau et comme biomarqueur des maladies neurologiques. Mais à mesure que les mammifères vieillissent, le LCR perd une partie de son efficacité, et ces changements pourraient affecter les cellules liées à la mémoire.
C’est pourquoi Tal Iram, neuroscientifique à l’Université de Stanford en Californie et ses collègues, ont cherché à savoir si un liquide céphalo-rachidien jeune, injecté à des individus plus âgés, pourrait améliorer les fonctions cérébrales dégradées, notamment la mémoire. C’est ce que semble conclure leur étude publiée dans Nature.
Une amélioration importante de la mémoire
Les travaux sur le LCR s’inspirent des travaux antérieurs de Wyss-Coray, montrant que le plasma de jeunes souris peut restaurer la fonction de mémoire chez des rongeurs plus âgés. Mais l’enjeu technique était ici bien plus complexe : à savoir, extraire le LCR puis le réinjecter dans un autre cerveau. Les techniques nécessaires ont nécessité près d’un an pour être opérationnelles. La collecte est extrêmement difficile et doit être faite avec précision. Toute contamination sanguine ruine le liquide. Sans compter que la pression dans le cerveau résulte d’un équilibre délicat, la perfusion doit donc être lente et être effectuée dans un endroit précis du cerveau : le ventricule cérébral.
La deuxième étape pour Tal Iram et son équipe était de faire vivre aux souris vieillissantes une expérience dont elles se souviendraient, afin de tester leur mémoire. L’équipe a donné à des souris de 20 mois trois petites décharges électriques sur une patte, en tandem avec plusieurs flashs lumineux et sonores, pour créer une association entre les lumières et les décharges électriques.
Par suite, les chercheurs ont « infusé » le cerveau d’un groupe de 8 souris avec du LCR de souris âgées de 10 semaines, tandis qu’un groupe témoin de 10 souris a reçu du LCR artificiel. Au bout de trois semaines, les souris ont été confrontées aux mêmes stimuli visuels et auditifs, mais cette fois sans décharge, recréant le contexte de la peur sans l’action réelle. Près de 40% des souris ayant reçu du LCR jeune se sont souvenues de la décharge et se sont figées de peur, tandis que seulement 18% environ des souris ayant reçu du LCR artificiel se sont figées. Les résultats suggèrent que du LCR jeune peut restaurer, dans une certaine mesure, des capacités cérébrales dégradées avec le vieillissement.
Le co-auteur de l’étude Tony Wyss-Coray, neuroscientifique à Stanford, déclare dans un communiqué accompagnant l’étude : « L’implication plus large est que le cerveau est toujours malléable et qu’il existe des moyens d’améliorer son fonctionnement. Tout n’est pas perdu ».
Une meilleure isolation du câblage cérébral et une protéine clé
Les chercheurs ont alors voulu comprendre le mécanisme induisant les résultats prometteurs qu’ils ont obtenus. Il faut savoir que l’hippocampe est le centre de contrôle de la mémoire du cerveau : il est responsable de la création, de la préservation et du rappel des souvenirs. C’est pourquoi l’équipe s’est focalisée sur cette structure pour mieux tenter de mieux comprendre comment le liquide céphalo-rachidien jeune pourrait améliorer la fonction de mémoire des souris vieillissantes.
Ainsi, ils ont découvert que la structure régulait à la hausse les gènes liés à des cellules appelées « oligodendrocytes ». Les oligodendrocytes produisent la gaine de myéline autour des queues des neurones. Wyss-Coray explique, en termes simples : « Il s’agit du revêtement recouvrant les ‘fils’ dans le cerveau. Et comme l’isolation des fils, cette gaine aide à la conductivité ».
Plus précisément, le LCR aide à générer davantage d’oligodendrocytes de stade précoce — cellules progénitrices d’oligodendrocytes. L’équation est simple : générer plus de cellules qui isolent les connexions nerveuses aide à maintenir la fonction cérébrale.
Les scientifiques ont également isolé une protéine dans ce liquide qui, selon une autre analyse, serait un candidat convaincant pour améliorer la mémoire : le facteur de croissance des fibroblastes 17 (Fgf17). L’infusion de Fgf17 a eu un effet de restauration de la mémoire similaire à l’infusion de LCR. De plus, le fait de donner aux souris un anticorps bloquant la fonction de Fgf17 a altéré la capacité de mémorisation des rongeurs. Wyss-Coray et Iram ont déposé une demande de brevet sur leurs découvertes concernant Fgf17.
Iram et Wyss-Coray concluent : « Fgf17 et le LCR semblent être des élixirs prometteurs pour la santé du cerveau, mais étudier les façons dont le LCR interagit avec les oligodendrocytes et comment ces cellules sont impliquées dans la mémoire sera important pour améliorer notre compréhension du vieillissement cérébral ».
La procédure utilisée, très délicate, pourrait poser des défis pour une utilisation chez les humains, que ce soit au niveau de la sécurité, de la difficulté, et de l’inconfort (des ponctions lombaires douloureuses et toujours considérées comme « invasives » par le corps médical) ou même de l’éthique (ponctionner puis perfuser le liquide d’un jeune individu à un patient plus âgé). Parmi les difficultés, il y a également la compréhension des autres protéines du LCR qui pourraient être impliquées, et la façon d’exploiter leurs effets sans causer de problèmes distincts.