En effectuant des fouilles dans la dépression de Fayoum, en Égypte, des paléontologues ont découvert le crâne presque complet d’une espèce jusqu’ici inconnue de Hyaenodonta, de grands prédateurs ayant vécu dans la région il y a environ 30 millions d’années. Dotée d’une mâchoire particulièrement puissante, l’espèce aurait été au sommet de la chaîne alimentaire de l’époque et serait un témoin clé de la transition environnementale majeure entre l’Éocène et l’Oligocène.
Les Hyaenodonta sont un groupe de mammifères prédateurs qui ont prospéré en Europe, en Amérique du Nord et en Afro-Arabie après l’extinction des dinosaures. Faisant généralement la taille de grands félins, ils ont évolué bien avant les chats, les hyènes, les chiens et les autres mammifères carnivores modernes. Ils diffèrent de ces derniers par leurs grandes paires de dents acérées situées entre les molaires supérieures et inférieures.
Dans d’autres continents comme l’Europe et l’Amérique du Nord, les Hyaenodonta partageaient l’espace de niche des prédateurs carnivores avec d’autres lignées, telles que les Carnivora et les Oxyaenida, au cours du Paléogène (entre 66 et 23 millions d’années avant notre ère). En revanche, ils constituaient la lignée de mammifères carnivores la plus diversifiée en Afro-Arabie jusqu’à la fin de l’Oligocène (la dernière partie du Paléogène).
Cependant, des changements du climat mondial et des tectoniques des plaques en Afrique ont conduit à leur disparition prématurée. La planète est passée d’une période chaude et humide au cours de l’Éocène à une période plus froide au cours de l’Oligocène. Cela a transformé des écosystèmes de forêts luxuriantes en paysages plus arides.
Ces changements ont progressivement conduit à la domination des clades apparentés aux chats, aux chiens et aux hyènes modernes, tandis que la diversité des Hyaenodonta a diminué jusqu’à leur extinction, il y a environ 25 millions d’années. Baptisée Bastetodon syrtos (en hommage à la déesse égyptienne à tête de chat Bastet, symbolisant la protection, le plaisir et la bonne santé), la nouvelle espèce co-découverte par l’Université de Mansoura contribuera à approfondir notre compréhension de la transition Éocène-Oligocène et de ses impacts sur l’évolution des mammifères carnivores.
Selon Shorouq Al-Ashqar, auteure principale de l’étude et paléontologue de l’Université de Mansoura et de l’Université américaine du Caire : « La découverte de Bastetodon est importante pour la compréhension de la diversité et de l’évolution des hyénodontes et de leur répartition mondiale ». Les résultats de l’étude ont été publiés dans le Journal of Vertebrate Paleontology.
Des mâchoires puissantes adaptées à la chasse des hippopotames primitifs
Le crâne de Bastetodon syrtos a été exhumé lors d’une fouille dans la dépression de Fayoum (à 36 mètres en dessous du niveau de la mer), dans le désert situé immédiatement à l’ouest du Nil, au sud du Caire. La région était auparavant une forêt luxuriante et constitue une fenêtre temporelle clé sur les 15 millions d’années d’histoire évolutive des mammifères africains.
La transition entre le réchauffement climatique de l’Éocène et le refroidissement climatique de l’Oligocène s’est déroulée au cours de cette période. Le gisement fossilifère de Fayoum montre donc comment ces changements ont façonné l’évolution des écosystèmes locaux.
« Fayoum est l’une des zones fossilifères les plus importantes d’Afrique. Sans lui, nous saurions très peu de choses sur les origines des écosystèmes africains et sur l’évolution des mammifères africains comme les éléphants, les primates et les hyénodontes », explique Matt Borths, co-auteur de la nouvelle étude et conservateur des fossiles au Musée d’histoire naturelle du Duke Lemur Center, de l’Université Duke à Durham.
L’équipe d’expédition a effectué des fouilles dans la zone au niveau des couches de roche datant de 30 millions d’années. Alors que les travaux étaient sur le point d’être achevés, l’un des chercheurs est tombé par hasard sur le crâne presque complet de Bastetodon syrtos. « Les paléontologues travaillent dans le Fayoum depuis plus d’un siècle, mais le laboratoire Sallam [le nom de l’équipe d’expédition] a démontré qu’il y a encore beaucoup à découvrir dans cette région remarquable », affirme Borths.
Les analyses des chercheurs ont montré que l’animal avait à peu près la taille d’un léopard adulte et était doté d’une puissante mâchoire avec des dents acérées ressemblant à celles des hyènes modernes. Ses muscles de mâchoire auraient été suffisamment puissants pour chasser les primates de l’époque, ainsi que des hippopotames, des éléphants primitifs et des damans. Cela suggère qu’ils étaient probablement au sommet de la chaîne alimentaire lorsque nos premiers ancêtres primates ont commencé à évoluer.
Une propagation en plusieurs vagues depuis l’Afrique
La découverte de Bastetodon syrtos a également permis de reclassifier une autre espèce de Hyaenodonta, de la taille d’un lion, exhumée à Fayoum il y a plus de 120 ans. Baptisée Sekhmetops en l’honneur de Sekhmet, la déesse égyptienne à tête de lion de la colère et de la guerre, elle a initialement été classée parmi les hyénodontes européens. Cependant, l’équipe de la nouvelle étude a constaté qu’elle avait de nombreuses similitudes avec Bastetodon syrtos, la catégorisant ainsi parmi les hyénodontes originaires d’Afrique.