Notre attrait pour l’alcool pourrait être hérité de nos ancêtres primates, selon une étude

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Le singe-araignée aux mains noires raffole des fruits fermentés. | Bernard Dupont – CC BY-SA 2.0
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La plupart des humains apprécient boire de l’alcool de temps à autre. Cette appétence pour les boissons alcoolisées serait-elle un héritage de nos ancêtres primates ? C’est ce que suggère une nouvelle étude à laquelle a participé Robert Dudley, biologiste à l’UC Berkeley. Il y a plusieurs années, ce spécialiste avançait déjà l’idée que notre attirance pour l’alcool remontait à plusieurs millions d’années, lorsque les premiers primates ont associé l’odeur d’alcool aux fruits bien mûrs.

En 2014, Dudley a publié un livre intitulé « The drunken monkey : why we drink and abuse alcohol », dans lequel il a exposé son idée pour la première fois : le fait que l’Homme apprécie l’alcool serait lié aux préférences alimentaires de nos ancêtres primates. Les fruits mûrs sont plus sucrés, donc meilleurs au goût ; la maturation conduit à la fermentation alcoolique (le processus via lequel les sucres sont transformés en éthanol). Ainsi, l’odeur de l’alcool aurait naturellement guidé les animaux vers les fruits les plus mûrs, qui sont également les plus nutritifs. Une idée communément appelée « l’hypothèse du singe ivre ».

« Les chimpanzés, nos plus proches parents, tirent environ 90% de leur apport calorique des fruits mûrs. Et là où il y a du sucre sous les tropiques, il y a de l’alcool », précisait Dudley dans une interview, à la sortie de son livre. Des recherches ont montré que les primates consommaient parfois des fruits dont la teneur en alcool pouvait atteindre 7%. Mais jusqu’à présent, les scientifiques ne disposaient pas de données prouvant que les singes et les grands singes mangeaient préférentiellement ces fruits fermentés ; ils ne savaient pas non plus s’ils étaient capables de digérer l’alcool contenu dans ces fruits.

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Des fruits alcoolisés choisis pour leur apport calorique

Une nouvelle étude dirigée par Christina Campbell, primatologue à la California State University de Northridge, apporte de nouveaux éléments de réponse, qui viennent soutenir l’hypothèse du singe ivre de Dudley. Les chercheurs se sont intéressés en particulier au singe-araignée aux mains noires (Ateles geoffroyi), un primate d’Amérique centrale et du nord de l’Amérique du Sud, qui vit dans les arbres. Les singes de cette espèce consomment principalement des fruits mûrs et étaient donc de bons candidats pour cette étude sur l’exposition naturelle à l’éthanol ; ils possèdent par ailleurs une excellente sensibilité olfactive à divers alcools.

En collectant des restes de fruits consommés par ces animaux, l’équipe a constaté que leur teneur en alcool se situait généralement entre 1% et 2% en volume. Ces fruits mûrs provenaient du prunier mombin (Spondias mombin) ; non seulement ce fruit fait partie des aliments favoris du singe-araignée, mais il est également utilisé depuis des millénaires par les populations indigènes d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour fabriquer la chicha, une boisson alcoolisée fermentée.

« Pour la première fois, nous avons pu montrer, sans l’ombre d’un doute, que des primates sauvages, sans intervention humaine, consomment des fruits contenant de l’éthanol », a déclaré Campbell dans un communiqué. L’éthanol est un sous-produit des levures présentes dans la pulpe des fruits, qui métabolisent le sucre au cours du processus de maturation et qui peuvent servir de signal olfactif à longue distance aux animaux frugivores, y compris de nombreux primates.

L’analyse de l’urine de six singes différents a révélé par ailleurs qu’elle contenait des produits métaboliques issus de la consommation d’alcool, à savoir de l’éthylglucuronide et du sulfate d’éthyle — ce qui prouve que ces singes utilisent l’éthanol des fruits pour produire de l’énergie.

Ces animaux se tourneraient ainsi davantage vers les fruits fermentés, car ils sont plus caloriques donc plus énergétiques. Un phénomène accentué par la déforestation, selon la spécialiste : les singes ayant de plus en plus de mal à trouver leur nourriture, ils tâchent de tirer un maximum de calories des aliments qu’ils trouvent. Notre appétence pour l’alcool découlerait ainsi d’une affinité profondément enracinée des primates frugivores pour l’éthanol présent naturellement dans les fruits mûrs.

Un état d’ivresse peu probable chez les singes

Nos ancêtres pourraient eux aussi avoir choisi de consommer de préférence des fruits chargés en éthanol, afin d’absorber davantage de calories. Les modèles contemporains de consommation d’alcool, à leur tour, peuvent dériver de ces associations entre l’éthanol et la récompense nutritionnelle. « La consommation excessive d’alcool, comme dans le diabète et l’obésité, peut alors être considérée d’un point de vue conceptuel, comme une maladie liée à un excès nutritionnel », soulignent les chercheurs dans leur publication.

Reste à savoir quelle quantité d’alcool les singes absorbent, et aussi, quels sont les effets de cette consommation sur leur physiologie et leur comportement. On connaît les ravages que provoque l’excès d’alcool chez l’Homme, mais qu’en est-il chez les primates non humains ? Selon Dudley, il est peu probable que les singes ressentent les mêmes effets. « Ils ne deviennent probablement pas ivres, car leurs intestins se remplissent avant qu’ils n’atteignent des niveaux d’ébriété », explique-t-il.

C’est ce qui différencie ces animaux de l’Homme, qui depuis l’apparition de la distillation, a quant à lui accès à de l’alcool liquide découplé de son substrat solide. Ainsi, les animaux arrêtent de se nourrir lorsqu’ils sont rassasiés, mais l’Homme peut continuer à boire jusqu’au coma éthylique…

En dehors du fait que ces fruits alcoolisés procurent l’énergie nécessaire aux singes, le biologiste pense qu’ils pourraient également avoir un effet antimicrobien. La levure et les microbes qui contribuent à la fermentation pourraient aussi faciliter la digestion des aliments, selon lui.

D’après les chercheurs, bien d’autres espèces pourraient consommer régulièrement de l’alcool. « Étant donné que la sélection positive sur les gènes codant pour le catabolisme de l’éthanol a été importante chez les espèces de mammifères consommant des fruits et du nectar de manière plus générale, la consommation naturelle de glucides fermentés est probablement plus répandue qu’on ne le pense actuellement », notent-ils dans leur étude. Pour mieux caractériser les éventuels effets comportementaux de l’éthanol sur les primates frugivores, et son rôle dans la recherche de nourriture, ils envisagent de mener d’autres études sur une gamme plus large d’échantillons, impliquant plusieurs stades de maturation des fruits.

Source : C. Campbell et al., Royal Society Open Science

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