Les régimes cétogènes consistent à réduire massivement l’apport en glucides tout en augmentant les lipides. Une fois métabolisées par le foie, ces graisses deviennent alors la première source d’énergie de l’organisme. Ce type de diète est utilisé pour traiter certaines pathologies ou dans le cadre d’un régime amaigrissant, mais une nouvelle étude, parue dans la revue Cell, révèle qu’il modifie largement le microbiote intestinal. Or, ce dernier joue un rôle essentiel dans l’organisme garantissant, entre autres, le bon fonctionnement de notre système immunitaire.
La diète cétogène a été mise au point au début des années 1920, pour traiter l’épilepsie. En effet, l’état de cétose – dû à l’accumulation de certains métabolites dans l’organisme – faisait disparaître les symptômes de la maladie. Ce régime est parfois utilisé aujourd’hui comme thérapie complémentaire aux traitements contre le cancer, mais aussi comme régime alimentaire de certains sportifs et d’individus souhaitant perdre du poids. À savoir que c’est également le régime traditionnel de certaines populations, comme les Inuits.
Un régime amaigrissant qui bouleverse la flore intestinale
De par son effet amaigrissant rapide, la diète cétogène est particulièrement prisée à l’approche de l’été. Elle aurait également des vertus protectrices contre le diabète. En effet, ce régime donne la part belle aux graisses, de manière à forcer l’organisme à utiliser ces corps gras plutôt que les glucides comme source d’énergie. Ces graisses sont alors métabolisées par le foie pour devenir des corps cétoniques, parmi lesquels l’acétylacétate et le β-D-hydroxybutyrate, qui vont alimenter le cœur et le cerveau en énergie. Ce régime est de ce fait parfois conseillé pour préserver la santé cardiaque.
Des recherches antérieures ont déjà révélé que les régimes riches en graisses induisent des changements au niveau de la flore intestinale, pouvant favoriser l’apparition de maladies métaboliques chez la souris. Pourtant, les régimes cétogènes, qui sont encore plus riches en matières grasses, sont proposés comme thérapie pour prévenir, voire traiter certaines maladies. Face à cette incohérence, l’équipe de Peter Turnbaugh, spécialiste en microbiologie et en immunologie à l’UC San Francisco et membre du Centre Benioff pour la médecine du microbiome, s’est penchée sur l’impact des corps cétoniques sur le microbiote intestinal.
Pour mener à bien leur étude, Turnbaugh et ses collègues, associés à la Nonprofit Nutrition Science Initiative, ont recruté puis suivi 17 individus adultes de diverses masses corporelles (non obèses, en surpoids ou obèses). Pendant deux mois, leur régime alimentaire et leurs niveaux d’exercice étaient soigneusement surveillés et contrôlés.
Pendant les quatre premières semaines de l’étude, les participants ont reçu soit un régime « standard » composé de 50% de glucides, 15% de protéines et 35% de matières grasses, soit un régime cétogène comprenant 5% de glucides, 15% de protéines et 80% de matières grasses. Après quatre semaines, les deux groupes ont changé de régime, pour permettre aux chercheurs d’examiner comment le passage d’un régime à l’autre avait modifié le microbiote des participants.
Or, l’analyse de l’ADN microbien provenant des échantillons de selles a montré que le passage d’un régime standard à un régime cétogène avait radicalement changé les proportions de certains phyla bactériens – Actinobacteria, Bacteroidetes et Firmicutes – dans les intestins des participants, avec des changements significatifs dans 19 genres bactériens différents. Les bifidobactéries, des probiotiques relativement communs, ont montré la plus forte diminution.
Vers un nouveau traitement des maladies auto-immunes
Pour mieux comprendre ces changements microbiens, les chercheurs ont exposé l’intestin de la souris à différents composants des microbiomes humains inhérents aux régimes cétogènes ; ils ont alors constaté que ces populations microbiennes altérées réduisaient spécifiquement le taux de lymphocytes Th17. Ces cellules T sont essentielles pour lutter contre les maladies infectieuses, mais elles sont également connues pour favoriser l’inflammation dans les maladies auto-immunes comme l’arthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques ou la maladie de Crohn.
Par la suite, les chercheurs ont soumis les souris à différents régimes plus ou moins riches en graisses et ont pu confirmer que les régimes dits « riches en graisses » et les régimes cétogènes présentaient des effets opposés sur le microbiote intestinal. En d’autres termes, chez les souris, le microbiote réagit différemment à partir d’un certain taux de graisses dans l’alimentation. En outre, lorsque les animaux sont passés d’une alimentation standard à une restriction encore plus stricte des glucides, les microbes intestinaux ont commencé à changer, en corrélation avec l’augmentation progressive des corps cétoniques.
L’équipe a alors souhaité vérifier si les corps cétoniques à eux seuls pouvaient entraîner des changements dans le microbiote intestinal : ils ont donc alimenté les souris directement avec ces composés. Résultat : même chez les souris qui mangeaient des quantités normales de glucides, la simple présence de ces composés était suffisante pour observer bon nombre des changements microbiens spécifiques au régime cétogène.
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Cette découverte suggère que les corps cétoniques pourraient être utilisés comme thérapie contre les maladies auto-immunes affectant l’intestin (telles que la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique) : « Pour de nombreuses personnes, le maintien d’un régime strict, à faible teneur en glucides ou cétogène est extrêmement difficile », explique Turnbaugh. Ce genre de diète – pas toujours réjouissante – leur est effectivement conseillée pour soulager les symptômes. « Mais si de futures études confirment que les changements microbiens causés par les corps cétoniques eux-mêmes présentent des avantages pour la santé, cela pourrait rendre l’approche thérapeutique beaucoup plus agréable d’un point de vue gustatif ».