En analysant les données du télescope Atacama Large Millimeter-submillimeter Array (ALMA), une équipe d’astronomes a, pour la première fois, détecté des isotopes de méthanol dans le disque protoplanétaire d’une étoile proche. Cette découverte suggère que la glace protoplanétaire est riche en molécules organiques complexes, que les comètes pourraient ensuite acheminer vers les planètes – un élément clé pour comprendre la formation de notre système solaire et l’émergence de la vie elle-même.
Répertorier l’ensemble des molécules organiques complexes — ces composés à base de carbone et d’hydrogène contenant au moins six atomes — présentes aux différentes étapes de la formation des systèmes planétaires, est crucial pour évaluer leur habitabilité potentielle. Sur Terre, ces molécules sont en effet connues comme étant des précurseurs de la vie, en entrant notamment dans la composition de composés fondamentaux tels que les acides aminés.
La détection de ces molécules constitue ainsi l’une des pierres angulaires de la recherche de la vie extraterrestre, tout en éclairant les processus qui ont conduit à la formation de notre propre système solaire. Pour les inventorier, les astronomes s’intéressent principalement aux disques protoplanétaires, ces structures de gaz et de poussière entourant les jeunes étoiles, dont l’évolution conduit à la naissance des planètes et d’objets plus petits comme les comètes.
Il a été avancé que les molécules organiques à l’origine de la vie sur Terre ont été apportées par des comètes. Toutefois, cette hypothèse – comme nombre d’autres sur l’émergence de la vie – fait l’objet de débats. Dans le but d’approfondir cette piste, une équipe codirigée par le Centre d’astrophysique | Harvard & Smithsonian (CfA) s’est attachée à étudier si les disques protoplanétaires dits de classe II — relativement fins et propices à la formation planétaire — autour d’étoiles de type A, contenaient une quantité suffisante de molécules organiques complexes.
L’objectif de cette recherche était de comprendre comment les glaces formées dans ces disques héritent de molécules organiques. « Les disques protoplanétaires entourant les jeunes étoiles lumineuses de type A constituent des laboratoires d’observation privilégiés pour déterminer l’abondance des molécules organiques complexes (COM) présentes lors de la formation planétaire », expliquent les auteurs dans leur article publié dans The Astrophysical Journal.
De grandes quantités de molécules organiques détectées
Pour mener cet inventaire moléculaire, les chercheurs ont concentré leurs observations sur le disque protoplanétaire de l’étoile HD 100453, située à environ 330 années-lumière de la Terre et possédant une masse 1,6 fois supérieure à celle du Soleil. Le télescope ALMA, installé dans le désert d’Atacama au Chili, a été sollicité en raison de ses performances inégalées pour observer les nuages moléculaires. Par ailleurs, la masse de l’étoile confère à son disque une température relativement élevée, ce qui facilite la détection des molécules organiques. « Contrairement à leurs homologues entourant des étoiles de plus faible masse, ces disques plus chauds contiennent les fronts de sublimation de molécules complexes telles que CH₃OH \[méthanol] à des échelles spatiales accessibles à ALMA », précisent les auteurs.
Le disque en question se trouve également à une distance suffisante de l’étoile pour que les composants soient plus facilement identifiables par ALMA. À l’inverse, un disque plus froid, associé à une étoile moins massive, retiendrait les molécules organiques dans la glace, les rendant plus difficiles à détecter par le télescope.
Les données recueillies révèlent la présence de méthanol ainsi que d’isotopes rares de cette molécule dans le disque protoplanétaire de HD 100453. Le méthanol, une molécule organique complexe (un alcool, plus précisément) entrant dans la composition des acides aminés, avait déjà été repéré dans d’autres disques. Mais c’est la première fois que des isotopes de méthanol — dont la concentration est de 10 à 100 fois inférieure à celle du méthanol standard — sont identifiés dans un tel contexte. Les chercheurs ne précisent toutefois pas la nature exacte des isotopes détectés, un détail qui serait utile pour évaluer leur signification chimique et astrophysique.
« La découverte de ces isotopes de méthanol donne un aperçu essentiel de l’histoire des ingrédients nécessaires à la construction de la vie ici sur Terre », affirme Alice Booth, du CfA et principale auteure de l’étude, dans un communiqué. Les observations suggèrent en outre que le disque de HD 100453 abrite probablement d’importantes quantités de molécules organiques, potentiellement y compris des acides aminés simples et des sucres tels que le glycolaldéhyde. La mention de la glycine, fréquemment évoquée dans ce type de recherches, nécessiterait en revanche confirmation : sa détection directe reste techniquement complexe et sujette à débat.
Les comètes à l’origine des molécules organiques sur Terre ?
Selon les chercheurs, le rapport méthanol/autres molécules organiques simples observé dans le disque de HD 100453 est presque équivalent à celui mesuré dans certaines comètes du système solaire — une assertion qui mérite toutefois d’être interprétée avec prudence, tant les mesures cométaires présentent de variabilité. Ce taux élevé de molécules organiques proviendrait vraisemblablement du bord interne d’un anneau de poussière situé à environ 1,5 milliard de kilomètres de l’étoile, soit seize fois la distance séparant la Terre du Soleil.
Ces résultats tendent à conforter l’hypothèse selon laquelle les comètes auraient joué un rôle déterminant dans l’apport de matière organique sur notre planète. En effet, l’étude montre que les glaces présentes dans les disques protoplanétaires — les mêmes qui donnent naissance aux comètes — sont riches en composés organiques complexes.
« Cette recherche étaye l’idée que les comètes pourraient avoir joué un rôle majeur dans l’apport de matière organique importante à la Terre il y a des milliards d’années », souligne Milou Temmink, de l’Observatoire de Leyde aux Pays-Bas, coauteur de l’étude. « Elles pourraient expliquer pourquoi la vie, y compris la nôtre, a pu se former ici », conclut-il.