Ressusciter le moa géant : entre rêve de science-fiction et polémique scientifique 

Après le mammouth laineux et le loup géant, Colossal Biosciences se lance dans un nouveau projet financé par Peter Jackson.

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Représentation artistique du moa géant. | Colossal Biosciences
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Après le mammouth laineux, le dodo ou encore le thylacine, Colossal Biosciences, une entreprise biotechnologique texane, veut désormais « ressusciter » le moa géant, un oiseau disparu de Nouvelle-Zélande il y a environ 600 ans. L’entreprise attire de plus en plus d’investisseurs, surtout après avoir annoncé avoir réussi l’exploit (scientifiquement contesté) avec le loup géant. Pour son nouveau projet, la start-up compte comme principal investisseur Peter Jackson, le célèbre réalisateur du Seigneur des anneaux et passionné de moas.

Spécialisée dans le génie génétique appliqué à l’ADN ancien, Colossal Biosciences ambitionne de recréer et réintroduire des formes proches d’animaux éteints dans leurs écosystèmes d’origine. Parmi les espèces sur lesquelles elle travaille figure par exemple le mammouth laineux (Mammuthus primigenius), avec des efforts consistant à modifier génétiquement l’éléphant d’Asie (Elephas maximus). En mars dernier, l’entreprise affirme avoir réalisé une avancée majeure dans cet objectif en créant des « souris laineuses ».

Elle ambitionne également de recréer le dodo (Raphus cucullatus), un oiseau endémique de l’île Maurice disparu vers la fin du XVIIe siècle, ainsi que le thylacine (Thylacinus cynocephalus), ou tigre de Tasmanie. Plus récemment, l’entreprise a impressionné le public en affirmant avoir « ressuscité » — ou plutôt en avoir créé une version modifiée — du loup géant (Canis dirus), un prédateur d’Amérique du Nord éteint il y a environ 13 000 ans. Elle affirme avoir créé deux louveteaux en modifiant génétiquement le loup gris pour en rapprocher la morphologie de celle des loups géants originels.

Pour convaincre le public (et probablement les investisseurs) du succès de sa technologie, l’entreprise semble exploiter la popularité suscitée par cette annonce, l’animal étant notamment devenu célèbre grâce à la série de livres Game of Thrones de George R. R. Martin. Elle a même partagé des photos de l’écrivain tenant l’un de ces louveteaux dans ses bras, un coup marketing qui n’a pas manqué de faire réagir les internautes.

Les investisseurs semblent en tout cas conquis, puisque la start-up a levé près de 200 millions de dollars en janvier de cette année et est actuellement valorisée à plus de 10 milliards de dollars. Elle ambitionne désormais de « ressusciter » le moa géant (Dinornis robustus) avec le soutien de Peter Jackson, le réalisateur qui a marqué toute une génération grâce à ses films. Cependant, si le public semble en général séduit par les projets de Colossal Biosciences, le scepticisme grandit chez les scientifiques.

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Peter Jackson (à gauche), tenant un os de moa, avec le fondateur de Colossal Biosciences, Ben Lamm (à droite). © Colossal Biosciences

Un équivalent du moa géant d’ici 5-10 ans ?

Pouvant mesurer jusqu’à 3,6 mètres de haut et peser 230 kilogrammes, les moas figuraient parmi les plus grands oiseaux ayant existé sur Terre. Endémiques de la Nouvelle-Zélande, ces oiseaux coureurs comprenaient neuf espèces distinctes, se nourrissant de fruits et de graines et jouant ainsi un rôle écologique clé dans les forêts et prairies néo-zélandaises.

Leur alimentation et leurs déplacements ont, pendant des milliers d’années, façonné la structure et la composition de la végétation de l’île. Leur extinction est survenue environ un siècle après l’arrivée des premiers colons polynésiens et a entraîné d’importants changements écologiques. Colossal Biosciences affirme vouloir restaurer ces fonctions en réintégrant l’espèce dans son environnement naturel.

Pour ce faire, les chercheurs prévoient de modifier génétiquement leurs plus proches parents vivants, tels que l’émeu (Dromaius novaehollandiae). En collaboration avec le Centre de recherche Ngāi Tahu de l’Université de Canterbury, la première étape de la recherche consistera à séquencer les génomes des neuf espèces de moas à partir de fossiles récupérés sur des sites de fouilles et probablement auprès de collectionneurs comme Jackson. Parallèlement, des analyses génétiques approfondies seront menées sur les oiseaux apparentés afin de créer des génomes de référence et d’effectuer des comparatifs.

Les chercheurs estiment qu’ils pourraient parvenir à recréer un équivalent du moa d’ici cinq à dix ans. Il serait ensuite relâché dans des sites de « réensauvagement » clôturés. « Nos plus anciens ancêtres vivaient ici aux côtés des moas, et nos archives, tant archéologiques qu’orales, contiennent des connaissances sur ces oiseaux et leur environnement », explique l’archéologue maorie Kyle Davis, dans un communiqué. « Nous nous réjouissons de pouvoir mettre ces connaissances en dialogue avec la science de pointe de Colossal, dans le cadre d’une vision ambitieuse de restauration écologique », ajoute-t-elle.

Un concept qui fait débat

Il faut cependant garder à l’esprit que le terme « ressusciter » ou « dé-extinction » (le terme employé par l’entreprise) n’est pas tout à fait exact. Plutôt que de recréer l’animal d’origine, la technique vise à modifier génétiquement des espèces proches pour s’en rapprocher le plus possible.

Le génome du loup géant compte par exemple 2,5 milliards de paires de bases et est identique à 99 % à celui du loup gris, ce qui représente tout de même plus d’un million de différences. Or, les chercheurs de Colossal Biosciences n’auraient apporté qu’une vingtaine de modifications réparties sur quatorze gènes du loup gris pour créer ces soi-disant louveteaux géants.

« La dé-extinction est une appellation erronée, une fausse promesse, davantage ancrée dans l’ego que dans un véritable effort de conservation des espèces », explique au Guardian Aroha Te Pareake Mead, membre du groupe de travail de l’Union internationale pour la conservation de la nature chargé de l’élaboration des politiques sur l’utilisation de la biologie synthétique en conservation. « Ce sont des exercices de délectation égoïste dans la mise en scène théâtrale de la “découverte”, dénuée de toute considération éthique, environnementale et culturelle », ajoute-t-elle.

D’autre part, les experts craignent que ce type de projet ne détourne l’attention du véritable problème : la crise de la biodiversité. Nombre de chercheurs estiment qu’il serait plus judicieux de consacrer ces ressources à la sauvegarde des espèces en voie d’extinction plutôt que de tenter de recréer celles déjà disparues. Par ailleurs, la dé-extinction d’une espèce est jugée techniquement impossible, même si l’on parvenait à reconstituer entièrement son génome.

« Je ne pense pas qu’il soit possible de créer un mammouth laineux sur le plan comportemental uniquement à partir de son génome. Une grande partie du comportement des éléphants est acquise. Nous savons que le comportement des éléphants peut poser problème dès qu’on retire une matriarche d’un groupe », explique à titre d’exemple Tori Herridge, biologiste évolutionniste à l’Université de Sheffield. Or, les comportements acquis sont essentiels aux fonctions écosystémiques des espèces, comme la dispersion des graines.

Néanmoins, les chercheurs de l’entreprise rejettent catégoriquement ces critiques. « Pour nombre de nos espèces vivantes au bord de l’extinction, le mal est fait. Elles sont prises dans un tourbillon d’extinction où la population s’enfonce dans une spirale infernale. La seule solution est de restaurer la diversité perdue dans le génome de ces espèces. C’est ce que permettent les technologies de dé-extinction », conclut Andrew Pask, qui travaille sur le projet moa.

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