Une cause infectieuse dans le développement de la maladie d’Alzheimer est envisagée depuis des décennies, sans preuve irréfutable. Récemment, à travers une étude sur plus de 6 millions de personnes âgées, des chercheurs révèlent que celles infectées par le virus de la COVID-19 présentent un risque considérablement plus élevé (de 50 à 80%) de développer Alzheimer durant l’année suivante. Cette découverte met à jour les futurs besoins dans les systèmes de soins et la santé publique afin de pouvoir prendre en charge l’augmentation certaine des cas de démence à l’avenir.
Touchant près de 900 000 personnes en France selon l’Institut Pasteur, la maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative d’évolution progressive. Deux structures anormales appelées plaques et enchevêtrements sont les principales suspectes dans la dégradation cérébrale liée à la maladie.
Il s’agit d’une part de plaques de dépôts d’un fragment de protéine appelé bêta-amyloïde, qui s’accumule dans les espaces entre les cellules nerveuses. Cette accumulation est toxique pour les cellules nerveuses. D’autre part, des enchevêtrements de fibres torsadées d’une autre protéine appelée tau s’accumulent à l’intérieur des cellules. Ces derniers désorganisent les neurones, provoquant une dégénérescence neurofibrillaire, puis la mort des cellules nerveuses.
Depuis quelques années, une étiologie infectieuse est soupçonnée, c’est-à-dire que la pathologie se développerait après une infection virale. Mais malgré des preuves à l’appui, cette hypothèse est toujours controversée. Le risque accru de séquelles dues à la COVID-19 chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et la reconnaissance de ces séquelles neurologiques durables dues à l’infection par le SARS-CoV-2 reflètent en partie les processus inflammatoires qui sont au cœur de la neuropathologie de la maladie d’Alzheimer.
C’est pourquoi récemment, une équipe de l’Université Case Western Reserve et de la Case Western Reserve School of Medicine, à Cleveland, ont voulu savoir si la COVID-19 pourrait déclencher la maladie d’Alzheimer ou accélérer son émergence. Leur étude, publiée dans la revue Journal of Alzheimer’s Disease, révéle un facteur de risque considérablement élevé chez les personnes âgées de plus de 65 ans de développer cette maladie dans l’année suivant leur infection.
Plus de 6 millions de personnes âgées étudiées
Pour établir la présence ou l’absence d’un lien causal entre une infection par le virus de la COVID-19 et l’apparition de la maladie d’Alzheimer, les auteurs ont analysé les dossiers de santé électroniques anonymes de 6 245 282 adultes aux États-Unis, âgés de 65 ans et plus, ayant reçu un traitement médical entre février 2020 et mai 2021 et sans aucun diagnostic préalable de maladie d’Alzheimer.
Ensuite, ils ont divisé cette population en deux groupes : la « cohorte COVID-19 », composée de personnes ayant contracté la COVID-19 durant cette période, et la « cohorte non COVID-19 », composée de personnes n’ayant aucun cas documenté de l’infection. Plus de 400 000 personnes ont été inscrites dans le groupe d’étude COVID-19, tandis que 5,8 millions étaient dans le groupe non infecté. Les auteurs ont examiné les risques de nouveau diagnostic de la maladie d’Alzheimer dans ces deux cohortes.
Pamela Davis, professeure émérite de l’université et co-auteure de l’étude, explique dans un communiqué : « Étant donné que l’infection par le SARS-CoV-2 a été associée à des anomalies du système nerveux central, y compris une inflammation, nous voulions tester si, même à court terme, la COVID-19 pouvait entraîner une augmentation des diagnostics ».
Les résultats ont montré que le risque de développer la maladie d’Alzheimer chez les personnes âgées a presque doublé (passant de 0,35% à 0,68%) sur une période d’un an après l’infection COVID-19. Les auteurs reconnaissant des limites à leur travail comme les biais potentiels introduits par la nature observationnelle et rétrospective de cette étude et l’imprécision du diagnostic de la maladie d’Alzheimer, bien que cela ne modifie pas de manière conséquente les principaux résultats.
De plus, les auteurs estiment qu’il n’est pas établi de façon claire si la COVID-19 déclenche réellement la maladie d’Alzheimer ou accélère plutôt son émergence. C’est pourquoi, il est essentiel d’apporter la validation à partir d’autres sources de données.
Une menace grandissante sur la santé publique
De plus, les chercheurs ont découvert que le risque de développer cette démence est significativement accru chez les personnes âgées de plus de 85 ans et chez les femmes. L’implication de ces résultats fait prendre conscience, encore un peu plus, du fardeau que représente la pathologie d’Alzheimer pour la communauté entière et les systèmes de soins.
Pamela Davis explique : « Si cette augmentation des nouveaux diagnostics de la maladie d’Alzheimer se maintient, la vague de patients atteints d’une maladie incurable sera importante et pourrait encore grever nos ressources de soins de longue durée ». Elle ajoute : « La maladie d’Alzheimer est une maladie grave et difficile, et nous pensions avoir renversé une partie de la tendance en réduisant les facteurs de risque généraux tels que l’hypertension, les maladies cardiaques, l’obésité et un mode de vie sédentaire ».
Mais ces résultats, liés au nombre grandissant de personnes touchées par la COVID-19 et les effets de cette infection à long terme, démontrent que la surveillance de la pathologie d’Alzheimer est essentielle pour permettre une mise à niveau, autant que faire se peut, des systèmes de soins pour le futur.
Rong Xu, auteur correspondant de l’étude, professeur d’informatique biomédicale à la faculté de médecine et directeur du Center for AI in Drug Discovery, a déclaré que l’équipe prévoyait de continuer à étudier les effets de la COVID-19 sur la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles neurodégénératifs — en particulier quelles sous-populations peuvent être plus vulnérables — et la possibilité de réutiliser des médicaments approuvés par la FDA pour traiter les effets à long terme de la COVID-19.