La rougeole est une infection virale extrêmement contagieuse touchant généralement les enfants en bas âge. Bien que les symptômes principaux puissent paraître de premier abord relativement bénins, le virus peut se propager à l’étage cérébral ou dans les poumons, et entraîner ainsi de dangereuses complications engageant le pronostic vital du patient, comme des encéphalites ou des pneumonies. Au cours de deux études récentes, des virologues ont démontré que la rougeole effaçait une partie de la mémoire immunitaire de l’organisme, l’empêchant de lutter contre des infections survenant pendant ou après la maladie, alors même que le patient avait déjà fait face à ces infections auparavant.
Une fois infecté, le système immunitaire amnésique ne reconnaît plus les agents pathogènes qu’il a combattus dans le passé. Cela signifie que les survivants de la rougeole peuvent rester exposés à des maladies dangereuses — telles que la grippe et la pneumonie — pendant des années, bien qu’ils aient surmonté leur maladie initiale.
« La rougeole leur enlève essentiellement leur capacité à se protéger efficacement » déclare Michael Mina, épidémiologiste à l’Université de Harvard et co-auteur de la nouvelle étude publiée dans la revue Science. L’article est associé à un autre publié dans la revue Science Immunology.
En utilisant les données d’un groupe d’enfants non vaccinés aux Pays-Bas, les deux études ont révélé ce que les virologues soupçonnaient depuis longtemps : le virus de la rougeole paralyse le système immunitaire de manière profonde et durable.
« Ces travaux précisent exactement comment se produit l’immunosuppression, et nous donne une idée de l’ampleur de l’immunosuppression en question » explique William Schaffner, professeur de médecine préventive et de maladies infectieuses à l’Université Vanderbilt. Les résultats rappellent également que les épidémies de rougeole record de cette année aux États-Unis auront des effets persistants.
« Ces enfants traversent actuellement une période post-rougeoleuse plus exposée aux autres infections ». Selon l’Organisation mondiale de la santé, le nombre de cas de rougeole a augmenté de plus de 280% depuis 2018, ce qui signifie que des centaines de milliers de personnes qui ont attrapé le virus cette année pourraient désormais également être victimes d’infections secondaires.
La suppression d’une partie de la mémoire immunitaire de l’organisme
Les virologues pensent depuis longtemps que le virus de la rougeole peut causer une « amnésie immunitaire », mais le mécanisme sous-jacent restait flou. Ils savent qu’une fois que le virus a infecté une personne, il réduit les réserves de globules blancs qui éliminent les agents pathogènes. Le nombre de cellules immunitaires revient à des niveaux normaux une fois l’infection éliminée, mais même dans ce cas, la personne touchée peut rester immunodéprimée pendant des années.
« Pourtant, elle laisse paradoxalement une solide immunité antirougeoleuse » indique Duane Wesemann, professeur de médecine à l’hôpital Brigham and Women’s. En d’autres termes, alors que les survivants de la rougeole luttent pour se défendre contre d’autres agents pathogènes, leur corps peut empêcher une nouvelle attaque du virus de la rougeole lui-même.
En fait, avant l’introduction du vaccin antirougeole dans les années 1960, environ 50% des décès d’enfants auraient pu être associés à des infections qu’ils ont contractées après avoir survécu à une crise de rougeole, selon une étude de 2015 publiée dans la revue Science. Comment, alors, la rougeole provoque-t-elle de tels dégâts sur le système immunitaire, même après la disparition de l’infection ?
Pour le savoir, les auteurs des nouveaux articles ont prélevé des échantillons de sang chez 82 enfants néerlandais non vaccinés. Lors d’une épidémie de rougeole qui a frappé le pays en 2013, cinq des enfants ont réussi à éviter l’infection mais la plupart ont attrapé le virus. Les auteurs ont comparé les échantillons de sang prélevés sur des enfants avant et après l’infection afin de déterminer l’évolution de leur système immunitaire.
Une perte massive de lymphocytes B après l’infection rougeoleuse
Les auteurs de l’étude de Science Immunology ont examiné les globules blancs des enfants, notamment un type de globule blanc appelé lymphocytes B. Lorsque le corps détecte un nouvel agent pathogène, les lymphocytes B produisent des protéines qui ciblant le germe et le transmettent à une autre protéine pour destruction. Les lymphocytes B continuent à développer ces anticorps même après la disparition de l’agent pathogène, de sorte que le corps se souvient de la maladie si elle devait revenir.
Les chercheurs ont découvert que les enfants infectés par le virus de la rougeole perdent de nombreux lymphocytes B formés à reconnaître les infections courantes.
Quarante à cinquante jours après l’infection, une fois le virus éliminé, les enfants touchés ont assemblé une nouvelle armée de lymphocytes B pour remplacer ceux perdus au cours de la maladie. Cependant, l’efficacité de ceux-ci dans la lutte contre des infections spécifiques n’est pas encore déterminée — cela pourrait être une question pour des études futures, selon Wesemann.
Anticorps : ils disparaissent partiellement durant l’infection
Plutôt que de faire le point sur les lymphocytes B, les auteurs de l’étude publiée dans Science se sont penchés directement sur la première ligne de la défense immunitaire : les anticorps eux-mêmes. Des trillions d’anticorps peuvent être trouvés dans chaque microlitre de sang. Nombre de ces anticorps sont produits par des cellules de la moelle osseuse appelées « cellules plasmatiques à vie longue », qui périssent également à cause du virus de la rougeole.
À l’aide d’un outil appelé VirScan, les chercheurs ont déterminé quels anticorps apparaissaient dans le sang des enfants avant et après la rougeole. L’outil de dépistage a permis aux chercheurs de parcourir les antécédents médicaux des enfants et de voir quels agents pathogènes ils avaient rencontrés au cours de leur vie. Mais le virus de la rougeole a effacé une grande partie de cette histoire.
Après avoir attrapé le virus, les enfants ont perdu entre 11% et 72% de leur diversité totale en anticorps, ce qui indique que la rougeole avait partiellement effacé leur mémoire immunitaire. En général, le nombre d’anticorps perdus semble dépendre de la gravité de l’infection rougeoleuse. Les enfants vaccinés, ainsi que les personnes non vaccinées n’ayant pas contracté la rougeole, ont conservé environ 90% de leur répertoire d’anticorps au cours de la même période.
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Entrer de nouveau en contact avec les agents pathogènes pour reconstruire une mémoire immunitaire
Les survivants de la rougeole peuvent récupérer d’une amnésie immunitaire, mais uniquement en se familiarisant de nouveau avec tous leurs agents pathogènes antérieurs. Au cours de l’étude de Science, certains enfants ont rapidement récupéré de nouveaux anticorps pour lutter contre les infections à staphylocoques, la grippe et les adénovirus, la famille des virus responsables des maux de gorge et de la pneumonie.
Les chercheurs ont découvert que tous ces enfants vivaient ensemble ou dans les mêmes quartiers, ce qui accélérait la propagation des agents pathogènes. « Ce à quoi nous assistions en réalité était la rééducation de leur système immunitaire » déclare Mina. Bien que les enfants néerlandais en bonne santé aient résisté à ces infections secondaires, les enfants mal nourris ou immunodéprimés pourraient ne pas s’en tirer aussi bien après la rougeole.
Vaccin contre la rougeole : la meilleure défense contre la maladie
Wesemann se demandait si un traitement de remplacement des anticorps, dans le cadre duquel des personnes recevaient des anticorps de donneurs, pourrait aider à maintenir le système immunitaire des enfants après l’infection par la rougeole, tout en renforçant leurs défenses. Des questions subsistent également sur les raisons pour lesquelles certains enfants perdent plus d’anticorps antirougeoleux que d’autres et sur l’impact de l’évolution de la diversité des globules blancs sur les survivants.
« Une chose est claire : le vaccin contre la rougeole est fantastique. Il dote le corps d’un arsenal d’anticorps anti-rougeole, exactement comme le virus lui-même. Mais contrairement à l’infection, l’inoculation ne diminue pas la capacité du corps à construire des anticorps contre d’autres agents pathogènes. Vous bénéficiez de tous les avantages et d’aucun inconvénient avec le vaccin » conclut Wesemann.